L’Union européenne et la coopération militaire vers Israël
Rapport présenté lors de la session du tribunal à Barcelone
par Patrice Bouveret, Observatoire des armements
L’objectif de ce document est d’amorcer la réflexion quant à la légalité des transferts d’armes de l’Union européenne en direction d’Israël au regard du droit international.
Soumis aux travaux de la première session du Tribunal Russell — axée sur les manquements de l’Union européenne —, ce rapport ne dressera pas un tableau d’ensemble de la problématique de la coopération militaire des différents États avec Israël, ni de la base industrielle et technologique de défense d’Israël, mais s’attachera plus précisément à souligner en quoi les États membres de l’Union européenne n’ont pas respecté leur propre réglementation en matière de commerce des armes et de coopération militaire, et ce tout particulièrement durant les dix dernières années.
Sommaire
1°) L’absence de réglementation internationale sur le commerce des armes conventionnelles ou classiques ;
2°) L’état des lieux des informations publiques disponibles en matière d’exportations des États membres de l’Union européenne en direction d’Israël ;
3°) Le non-respect du Code de conduite et de la Position commune de l’Union européenne.
La non réglementation du commerce des armes :
une anomalie du système juridique international
Les violations manifestes du droit international humanitaire auraient dû conduire — depuis de nombreuses années — la communauté internationale à prononcer un embargo sur les transferts d’armes à l’encontre des acteurs du conflit israélo-palestinien. Ce n’est pas le cas. Il n’existe aucune résolution adoptée par le Conseil de sécurité en ce sens[1].
Toutefois, cela ne signifie pas que les États qui transfèrent des armes dans cette région soient exonérés de toute responsabilité. Car, comme le souligne le CICR[2] : « Un État qui transfère des armes ou des équipements militaires fournit au destinataire les moyens de s’engager dans un conflit armé, dont la conduite est régie par le droit international humanitaire. L’article premier commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 stipule que les États ont l’obligation de “respecter et faire respecter” le droit international humanitaire. Afin d’éviter que l’accès non réglementé aux armes et aux munitions facilite les violations du droit humanitaire, la manière dont le destinataire est susceptible de respecter ce droit devrait être l’un des éléments à prendre en compte lors de toute décision en matière de transferts d’armes. »
En effet, l’article premier commun des Conventions de Genève est généralement interprété comme conférant aux États tiers non impliqués dans un conflit armé en cours une double « obligation négative », à savoir ne pas encourager une partie à un conflit armé à violer le droit international humanitaire, ni prendre des mesures susceptibles d’aider à la commission de telles violations ; ainsi qu’une « obligation positive », consistant à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux violations. Comme les armes militaires sont transférées avec l’objectif de permettre au destinataire de s’engager dans un conflit armé, ces transferts devraient donc être examinés à la lumière de l’obligation qui incombe aux États d’assurer le respect du droit humanitaire.
Les États tiers ont donc la responsabilité particulière d’intervenir auprès des États ou des groupes armés sur lesquels ils pourraient exercer une certaine influence. C’est pourquoi les États qui transfèrent des armes peuvent être considérés comme particulièrement influents et aptes à « faire respecter » le droit international humanitaire en raison de leur capacité à fournir, ou à refuser de fournir, des moyens pouvant être utilisés pour commettre des violations graves. Ces États tiers devraient en conséquence veiller tout particulièrement à ce que les armes transférées ne soient pas utilisées pour commettre des violations graves du droit international humanitaire.
D’ailleurs, les États parties aux Conventions de Genève ont affirmé cette responsabilité lors de la XXVIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en décembre 2003. Dans l’Agenda pour l’action humanitaire adopté par la Conférence,[3] les États parties aux Conventions de Genève se sont engagés à « faire du respect du droit international humanitaire un des critères fondamentaux selon lesquels les décisions concernant les transferts d’armes sont examinées » et ils ont été encouragés à incorporer ces critères dans la législation ou la politique nationale ainsi que dans les normes régionales et mondiales relatives aux transferts d’armes.
Reste, que du discours à la mise en œuvre d’instruments juridiquement contraignants, le chemin est long. Car si les États ont adopté, ces dernières décennies, des interdictions et des restrictions importantes — relatives au transfert des armes chimiques, biologiques et nucléaires, des systèmes de missiles et des composantes de ces technologies, aux mines antipersonnel et dernièrement aux sous-munitions —, le transfert des armes classiques ou conventionnelles n’a guère bénéficié d’une grande attention — c’est le moins qu’on puisse dire — au niveau de la communauté internationale. Pourtant, ce sont bien ces armes-là — comprenant les fusils d’assaut, les grenades, les mines, les bombes, les fusées et les missiles, etc. — qui causent le plus grand nombre de morts et de blessés dans les conflits d’aujourd’hui.
Toutefois, nous pouvons noter ces dernières années — principalement depuis la fin de la guerre froide et surtout la première guerre du Golfe de 1991 —quelques évolutions en la matière. D’une part, un certain nombre d’instruments régionaux — comme, par exemple depuis 1998, le Code de conduite de l’Union européenne, devenu juridiquement contraignant en décembre 2008 — comprennent aujourd’hui une liste de critères à prendre en considération avant d’autoriser des transferts d’armes. D’autre part, après la mise en place d’un registre international sur les transferts d’armes conventionnelles, un traité juridiquement contraignant et de portée mondiale — définissant des normes communes pour le transfert responsable des armes classiques et de leurs munitions en se fondant sur les responsabilités que le droit international, notamment le droit international humanitaire (DIH), impose aux États — est en cours d’élaboration au sein des Nations unies. Reste qu’en attendant que ce traité sur le commerce des armes soit effectivement mis en œuvre, il faudra encore compter plusieurs années…
Les États qui exportent s’abritent derrière l’article 51 de la Charte des Nations unies[4] qui reconnaît à tout État le droit à la légitime défense :
Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. »
Les États ont tendance à faire une lecture extensive de cet article qui, ceci dit, ne prévoit pas de manière explicite que les États puisse s’armer de manière préventive et intensive.
Sans oublier, l’article 26 de ladite Charte de l’ONU qui précise :
Afin de favoriser l’établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde, le Conseil de sécurité est chargé, avec l’assistance du Comité d’état-major prévu à l’Article 47, d’élaborer des plans qui seront soumis aux Membres de l’Organisation en vue d’établir un système de réglementation des armements. »
Etat des lieux des exportations de l’UE ou les limites de la transparence…
La question des sources d’information
Le premier obstacle est celui de disposer d’informations fiables et précises. Les sources de données disponibles sur les exportations d’armes sont quasi exclusivement en termes de données financières, de montants des contrats. La difficulté principale est d’établir une liste fiable et précise du type de matériel exporté afin de pouvoir vérifier — en l’absence de Traité en vigueur sur le commerce des armes — si leur usage est conforme aux règles du droit international — ou régional en ce qui concerne l’Union européenne — existant. Le seul outil international « officiel » reposant sur une liste descriptive des matériels est le Registre de l’ONU sur les armes classiques, avec toutes les limites qu’il comporte, comme nous l’examinons plus loin.
Pour compléter cette liste, les seules informations dont nous pourrions disposer proviennent pour l’essentiel des articles de presse publiés à l’occasion de la signature de tel ou tel contrat ou de documents « publicitaires » émanant des entreprises d’armement faisant état de leurs succès commerciaux en direction des armées des différents États. Mais entre l’effet d’annonce de telle ou telle volonté de signature d’un contrat et la matérialisation de l’exportation, au travers d’une livraison des armes et leurs munitions, il peut y avoir, outre des délais importants, une grande différence.
Il existe également une troisième piste : celle des enquêtes internationales conduites après une période de conflits par des commissions mandatées par les instances des Nations unies, ou par des ONG comme par exemple Amnesty International, Human Rights Watch.
Dans cet état des lieux de la coopération militaire entre l’Union européenne et Israël, nous pointons également les achats d’armements par les États membres auprès de l’industrie militaire israélienne. Certes, si on se place d’un point de vue juridique stricto sensu, les exportations d’armes d’Israël en direction de l’Union européenne seraient à exclure de notre étude dans la mesure où ces armes ne font pas l’objet d’une utilisation dans le cadre du conflit israélo-palestinien… Mais le fait pour les États européens d’acheter du matériel militaire à Israël permet à ce dernier de renforcer ces capacités industrielles et de mieux rentabiliser ses investissements en matière militaire. Les importations d’armes en provenance de l’État israélien peuvent donc être analysées comme un soutien à l’effort de guerre de cet État, voire même de la complicité.
Au niveau de l’ONU
Au niveau international, nous disposons du registre des Nations unies sur le commerce des armes établi depuis 1992. Ce dernier repose sur la base des déclarations volontaires de chacun des États membres de l’ONU qui adresse tous les ans au Secrétaire général une déclaration de leurs importations et de leur exportations d’armes selon 7 grandes catégories de matériels (à savoir :
I-chars de bataille ; II-Véhicules blindés de combat ; III-Systèmes d’artillerie de gros calibre ;
IV-Avions de combat ; V-Hélicoptères d’attaque ; VI-Navires de guerre ; VII-Missiles et lanceurs de missiles). Le Registre est accessible sur Internet[5].
Israël participe au Registre depuis sa création en 1992. Souvent avec retard, car c’est seulement le 22 décembre 2009, que sa déclaration pour l’année 2008 a été enregistrée par le secrétariat de l’ONU, alors que la date limite d’envoi du document était fixé au 31 mai suivant l’année de référence. Déjà, celle de 2007 avait été envoyée… en mars 2009, soit avec 8 mois de retard !
Sur les 17 déclarations publiées (de 1992 à 2008) par l’État israélien, hormis les États-Unis, seule l’Allemagne est citée à trois reprises en 1999, 2000 et 2006 pour la livraison à Israël de 5 exemplaires du sous-marins Dolphin.
Il est surprenant, par ailleurs, de voir que l’Allemagne n’a pas signalé dans sa déclaration de 2006 la livraison à Israël des Dolphin, contrairement aux livraisons de 1999 et 2000. À signaler que de nouvelles négociations ont débuté à l’automne 2009 pour la vente par l’Allemagne à Israël de matériels navals pour un montant d’environ 1 milliards d’euros comprenant un sous-marin supplémentaire de classe Dolphin U-212, doté d’une capacité nucléaire, des torpilles et deux bâtiments navals[6]
Parmi les autres principaux pays européens exportateurs, aucun n’est cité dans le registre par Israël comme leur ayant vendu des armes. En revanche Israël signale avoir exporté des armes, parmi les pays européens, en direction de l’Espagne (2 canons de 120 mm, en 2003) — qui de son côté ne signale pas avoir acheté de telles armes à Israël… — et de la Roumanie (390 mortiers Barrels de 160 mm en 2008).
Ce qui pourrait tendre à confirmer que les États européens — hormis l’Allemagne en ce qui concerne les sous-marins — n’exportent pas des produits militaires finis « opérationnels », inclus dans la liste des 7 catégories, mais soit des pièces ou des composants permettant la fabrication des armes, soit du matériel ne figurant pas dans la liste onusienne… Sans négliger une troisième hypothèse que le caractère non obligatoire du Registre de l’ONU induit : certains pays peuvent ne pas vouloir afficher publiquement leurs relations militaires avec Israël car il s’agit d’un sujet sensible au niveau de leur propre opinion publique ou tout simplement pour ne pas « froisser » d’autres États de la région du Moyen-Orient qui figurent parmi leur clientèle ou sont en cours de prospection « commerciale »…
Le Registre des armes classiques fait l’objet d’un examen régulier par les Nations unies tous les trois ans. Suite aux travaux conduits par les Groupes d’experts gouvernementaux ad hoc de 2003 et de 2006, adoptés par l’Assemblée générale de l’ONU, les États ont été invités à fournir également des informations concernant leurs importations et exportations d’armes légères et de petits calibres. Israël n’a jamais fourni de telles informations.
NB. Il existe également au niveau international, la base de données sur le commerce international UN Comtrade établie à partir des déclarations fournies par les services des douanes de chaque État. Mais, là encore, la répartition en catégorie des montants des exportations ne permet pas de distinguer de manière fiable le matériel militaire du matériel civil qui se trouve amalgamé dans la même catégorie, comme c’est le cas, par exemple, pour les explosifs.
Au niveau du Sipri
Source la plus utilisée — notamment par nombre de médias, d’ONG et même de gouvernements — le Sipri (Stockholm International Peace Research Institute, institut d’études stratégiques indépendant fondé en 1966 en Suède) publie tous les ans le Sipri Yearbook qui contient une évaluation du commerce des armes correspondant non pas à la mesure des flux financiers réels des exportations, mais construite à partir de leur propre indice de prix. Il s’agit d’un outil très utile pour faire des comparaisons et mesurer les évolutions…
Le Sipri a également mis à disposition du public une base de données disponible sur Internet répertoriant tous les contrats d’armes que cet organisme a pu vérifier, et cela depuis les années 1950 à ce jour[7]. Toutefois, le Sipri ne prend en compte que les armes classiques et n’inclut pas les armes légères et de petits calibres dans ses estimations. Dans le cadre de cette étude, les éléments recueillis nous permettent ainsi de disposer d’une liste officieuse — certes sans aucun doute fort incomplète — de matériels militaires (voir tableaux, annexe 1).
Si on se limite aux dix dernières années (c’est-à-dire de 1999 à 2008, dernière année disponible), seul un État européen est répertorié pour avoir exporté en direction d’Israël : l’Allemagne, en concordance avec ce que nous avons répertorié dans le Registre de l’ONU.
Le nombre d’États membres à s’être procuré du matériel militaire auprès d’Israël durant la même période est nettement plus important. Ils sont 13 sur 27, à savoir : Allemagne, Belgique, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Slovénie et Royaume-Uni. On pourrait également ajouter à cette liste Chypre et la Roumanie, mais leurs achats de matériel militaire israélien ont été effectuées durant la période précédant leur adhésion à l’Union européenne.
Au niveau des armes légères et de petits calibres
Il s’agit sans aucun doute des matériels qui, d’une part, sont les plus sensibles du point de vue de leur utilisation en termes de violations des règles du droit international humanitaire ; et, d’autre part, pour lesquels les données sont les plus difficiles à trouver !
Les Nations unies, à la fin des années 1990, poussés notamment par les ONG, se sont préoccupés de ce « fléau » et ont organisé une Conférence sur le commerce illicite des armes légères et de petits calibres. Mais en raison de l’obstruction systématique des États-Unis notamment, mais aussi de la Chine et de la Russie, cette Conférence n’a débouché que sur un plan d’action de portée limitée car il ne contient aucune mesure contraignante.
Depuis 2001, un organisme suisse trace de manière spécifique ce type d’armes : Small Arms Survey et publie un annuaire[8] contenant des analyses pertinentes, mais cet institut de recherche universitaire ne possède pas de banques de données disponibles en ligne comme celles du Sipri.
Toutefois, d’après les informations que nous avons pu recueillir — hormis l’achat aux États-Unis de matériel spécifique dans le cadre des accords privilégiés dont il bénéficie —, Israël a acquis une large autonomie dans la fabrication des armes légères et de petits calibres, devenant même un important exportateur de ce type de matériel.
Au niveau de l’Union européenne
Depuis la mise en place du Code de conduite sur les exportations d’armes, en 1998, l’Union européenne publie un rapport annuel élaboré à partir des déclarations de chaque État membre. Il est établi par le Coarm (Council working arms group), instance mise en place en septembre 1991 par le Conseil des ministres de l’Union européenne afin d’harmoniser les politiques d’exportations d’armes et chargé depuis de gérer le dispositif du Code de conduite, devenu en décembre 2008 Position commune. Le rapport européen est publié au Journal officiel de l’Union européenne et les éditions successives sont disponibles sur Internet[9]. Toutefois, l’Union européenne n’a pas encore développé une base de données sur les exportations accessibles pour le public compilant l’ensemble des données.
Même si le rapport de l’Union européenne s’est étoffé depuis sa première édition, il présente bien des limites, en terme de transparence, comme outil permettant d’exercer un contrôle démocratique. C’est seulement à partir du 4e rapport — portant sur les résultats de l’année 2001 — que des données par État-membre réparties par pays importateurs commencent à faire leur apparition. Mais les informations fournies par les États sont encore loin d’être complètes et harmonisées.
À partir du 6e rapport — portant sur l’année 2003 — la répartition par destination s’étoffe avec l’introduction d’une répartition également par les 22 catégories de la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne.
Actuellement, le rapport donne des indications sur le montant des autorisations de licences d’exportations réparties par pays et selon la liste en 22 catégories de matériels. Mais ce montant des autorisations de négociations ne correspond ni au montant des livraisons réellement effectuées ni à celui des commandes enregistrées au final dans l’année de référence… Si on prend l’exemple de la France, le chiffre global des autorisations pour l’année 2008 indiqué dans le rapport de l’Union européenne est de 10 738,2 millions d’euros. Alors que celui des prises de commandes est seulement de 6 583,5 millions d’euros et celui des livraisons réalisées durant la même année 2008, de 3 172,8 millions d’euros[10].
Le rapport couvrant l’année 2008 a été publié dans le Journal officiel de l’Union européenne du 6 novembre 2009. Ce onzième rapport intègre quelques nouveautés et notamment le nombre de licences — avec le montant et le type de catégories — accordées par État-membre pour des opérations de courtage avec indication du pays d’origine et du pays destinataire du matériel militaire. Ainsi des licences de courtage impliquant Israël ont été accordées durant l’année 2008 en Allemagne et au Royaume-Uni. Et la seule licence de courtage refusée, signalée dans le rapport, concerne du matériel à destination d’Israël. Mais l’État-membre de l’Union européenne à l’origine de ce refus n’est pas indiqué. Toutefois, seulement 11 États sur les 27 ont fourni des informations. Mais pas la France. Alors que le Rapport au Parlement sur les exportations d’armements de la France en 2008 indique (p. 43) : « Alors que 161 demandes d’autorisations d’intermédiation ont été déposées en 2008, 160 ont été accordées. Une a été refusée. » Mais bien sûr sans donner aucune indication sur les pays concernés et les destinations finales de ces licences de courtage. Le gouvernement français aurait-il quelques réticences à communiquer le détail de ces autorisations au niveau européen ?
Le rapport européen indique également le nombre de contrat ayant fait l’objet d’un refus d’autorisation avec la répartition par chacun des 8 critères de la Position commune. Ainsi nous savons qu’en 2008 l’Union européenne a globalement refusé 22 contrats vis-à-vis d’Israël sur un total de 833 accordées (28 refus sur 1 018 licences accordées en 2007)… Mais nous ne disposons pas pour autant du nombre de refus en direction d’Israël par chacun des États membres ! Toutefois nous disposons d’une répartition des refus par critères du Code de conduite. Ainsi en 2008, sachant que plusieurs critères peuvent être évoqués pour le même refus, vis-à-vis d’Israël le critère 1 a été notifié 1 fois ; le critère 2 : 9 fois ; le critère 3 : 12 fois ; le critère 4 : 7 fois ; le critère 6 : 1 fois ; le critère 7 : 7 fois (les critères sont explicités dans la troisième partie).
Au sein de l’Union européenne — depuis l’année 2001 que la répartition des exportations par destinataires est rendue publique — 20 États ont exporté, à des degrés divers, du matériel militaire en direction d’Israël, à savoir : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Luxembourg Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie et Slovénie.
Mais bien sûr, rien de bien comparable entre Chypre et le Luxembourg qui ont accordé 1 seule licence d’exportation en 8 ans et par exemple la France qui totalise plus de 50 % des exportations de l’Union européenne en direction de l’État hébreu. En effet, les exportations d’armes sont largement dominées par un nombre restreint d’États puisque les cinq premiers exportateurs ont assuré, de 2003 à 2007, plus de 92 % des ventes d’armes de l’Union européenne à Israël. Dans l’ordre : France, 52,7 % ; Allemagne, 25,3 % ; Royaume-Uni, 9,5 % ; Belgique, 2,7 % ; Pologne, 2,4 %.
Tous les matériels militaires (ou leurs composants) sont concernés, à l’exception de ceux des catégories 12 (systèmes d’armes à énergie cinétique à grande vitesse et matériel connexe) et 19 (systèmes d’armes à énergie dirigée, matériel connexe ou de contre-mesures et modèles d’essai).
Au vu des déclarations publiées dans les éditions successives du rapport européen seuls sept États n’ont pas exporté de matériels militaires vers Israël : Estonie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Portugal et Suède. Parmi ceux-ci, seule la Suède — qui figure parmi le top 10 des exportateurs mondiaux — s’y refuserait par choix politique[11].
De même, il est difficile d’établir une corrélation entre la guerre israélo-libanaise de l’été 2006 ou l’opération « Plomb durci » contre Gaza et une variation significative tant du montant des exportations de l’Union européenne vers Israël que d’une augmentation du nombre de refus de licences, à la simple lecture des rapports européens.
Au niveau de la France
Le premier Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France a été publié en 2000 et présentait les données de l’année 1998. La dixième édition a été publiée en septembre 2009. À noter, qu’après avoir connu une amélioration, le rapport a subi depuis deux ans une cure d’amaigrissement se transformant plus en outil au service de la promotion des ventes d’armes que de leur contrôle par les parlementaires et la société civile.
Là encore, le rapport permet de connaître le montant des exportations françaises de matériels militaires à la fois par destinataires et par catégories selon la liste établis par l’Union européenne, mais pas la description du type de matériel exporté.
Le ministère de la défense distingue le montant des prises de commandes effectuées dans l’année de référence et celui des livraisons (voir tableaux, annexe 2).
Comme son nom l’indique, le rapport ne concerne que les exportations de la France. Le montant des importations n’y figure pas ce qui ne permet pas de mesurer la réalité de la coopération militaire entre la France et Israël qui porte principalement sur des technologies sensibles (drones, avions de reconnaissance, optronique, détection optique, lasers). Il s’agit d’ailleurs d’une coopération technologique à double sens permettant de « donner aux industriels français et israéliens, affectés les uns et les autres par la baisse des budgets de défense, l’occasion de s’unir pour pénétrer de nouveaux marchés[12] » et surtout d’améliorer leurs produits en bénéficiant des avancées réciproques acquises tant par les industriels que par l’expérimentation du matériel sur le terrain en situation de combat réel.
Éléments subsidiaires mais néanmoins importants…
Pour compléter cet état des lieux, deux aspects du soutien à la politique militaire d’Israël mérite d’être signalé, même s’ils ne relèvent pas directement d’une contribution directe aux violations du droit international humanitaire.
Il s’agit en premier des programmes de recherche scientifique financés par la l’Union européenne qui ont bénéficié à des entreprises israéliennes d’armement, cf. l’article de David Cronin, annexe 3.
Le second point est l’accueil d’entreprises israéliennes d’armements dans les salons professionnels organisés notamment en France par le ministère de la défense. Il s’agit-là d’un soutien apporté à l’industrie d’armement israélienne qui vient présenter sur le sol français du matériel utilisé par l’armée israélienne dans le cadre des opérations militaires qu’elle conduit dans les Territoires palestiniens. L’efficacité prouvée dans les combats est même un des arguments majeurs vantés par leurs commerciaux pour « accrocher » le client…
D’autant que la présence israélienne dans les salons d’armements est en constante progression. Par exemple, lors de l’édition 2008 du « salon international de la défense terrestre », Eurosatory, pas moins de 47 entreprises étaient répertoriées, contre seulement 17 lors de l’édition de 1998… Même progression pour le « salon mondial de la sécurité intérieure des États », Milipol (matériel militaire et de police) : 16 exposants en 1997, 42 en 2007 et 47 exposants lors de l’édition 2009…
Les transferts d’armes de l’Union européenne : un problème éthique et juridique de taille !
Le Code de conduite de l’Union européenne est né de la guerre contre l’Irak de 1991 avec l’adoption de 8 critères en 1991 et 1992, puis la mise en place à partir de 1998 d’un outil d’harmonisation des exportations d’armes géré au sein du Coarm… En décembre 2008, le Code est devenu « Position commune » et a donc acquis un caractère juridiquement contraignant…
Comme le souligne la « Position commune 2008/944/Pesc définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires » adoptée le 8 décembre 2008 par le Conseil de l’Union européenne et publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 13 décembre 2008 :
« Les États membres reconnaissent la responsabilité particulière qui incombe aux États exportateurs de technologie et d’équipements militaires. »
« Les États membres sont déterminés à empêcher les exportations de technologies et qu’équipements militaires qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne ou d’agression internationale, ou contribuer à l’instabilité régionale »
Par cette Position commune, les États membres sont tenus d’évaluer, au cas par cas, en fonction d’une liste de huit critères toutes les demandes d’autorisations d’exportation pour du matériel figurant sur la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne. Cette liste comporte 22 catégories de matériels comme nous l’avons déjà signalé dans la seconde partie.
Pratiquement chacun des huit critères peut s’appliquer et conduire les États membres à refuser toute exportation de matériel et technologies militaires en direction d’Israël… D’ailleurs, au fil des informations fournies dans les différents rapports annuels de l’Union européenne, nous pouvons constater que — à des degrés divers — tous les critères ont été utilisés pour justifier des refus de licence à Israël.
Voici le descriptif des huit critères énoncés dans la Position commune en son article 2 :
Critères
1. Premier critère: respect des obligations et des engagements internationaux des États membres, en particulier des sanctions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou l’Union européenne, des accords en matière, notamment, de non-prolifération, ainsi que des autres obligations internationales.
Une autorisation d’exportation est refusée si elle est incompatible avec, entre autres:
a) les obligations internationales des États membres et les engagements qu’ils ont pris d’appliquer les embargos sur les armes décrétés par les Nations unies, l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe;
b) les obligations internationales incombant aux États membres au titre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, de la convention sur les armes biologiques et à toxines et de la convention sur les armes chimiques;
c) l’engagement pris par les États membres de n’exporter aucun type de mine terrestre antipersonnel;
d) les engagements que les États membres ont pris dans le cadre du groupe Australie, du régime de contrôle de la technologie des missiles, du comité Zangger, du groupe des fournisseurs nucléaires, de l’arrangement de Wassenaar et du code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques.
2. Deuxième critère: respect des droits de l’homme dans le pays de destination finale et respect du droit humanitaire international par ce pays.
— Après avoir évalué l’attitude du pays destinataire à l’égard des principes énoncés en la matière dans les instruments internationaux concernant les droits de l’homme, les États membres:
a) refusent l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à la répression interne;
b) font preuve, dans chaque cas et en tenant compte de la nature de la technologie ou des équipements militaires en question, d’une prudence toute particulière en ce qui concerne la délivrance d’autorisations aux pays où de graves violations des droits de l’homme ont été constatées par les organismes compétents des Nations unies, par l’Union européenne ou par le Conseil de l’Europe.
À cette fin, la technologie ou les équipements susceptibles de servir à la répression interne comprennent, notamment, la technologie ou les équipements pour lesquels il existe des preuves d’utilisation, par l’utilisateur final envisagé, de ceux-ci ou d’une technologie ou d’équipements similaires à des fins de répression interne ou pour lesquels il existe des raisons de penser que la technologie ou les équipements seront détournés de leur utilisation finale déclarée ou de leur utilisateur final déclaré pour servir à la répression interne. Conformément à l’article 1er de la présente position commune, la nature de la technologie ou des équipements sera examinée avec attention, en particulier si ces derniers sont destinés à des fins de sécurité interne. La répression interne comprend, entre autres, la torture et autres traitements ou châtiments cruels, inhumains et dégradants, les exécutions sommaires ou arbitraires, les disparitions, les détentions arbitraires et les autres violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales que mentionnent les instruments internationaux pertinents en matière de droits de l’homme, dont la déclaration universelle des droits de l’homme et le pacte international relatif aux droits civils et politiques.
— Après avoir évalué l’attitude du pays destinataire à l’égard des principes énoncés en la matière dans les instruments du droit humanitaire international, les États membres:
c) refusent l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à commettre des violations graves du droit humanitaire international.
3. Troisième critère: situation intérieure dans le pays de destination finale (existence de tensions ou de conflits armés).
Les États membres refusent l’autorisation d’exportation de technologie ou d’équipements militaires susceptibles de provoquer ou de prolonger des conflits armés ou d’aggraver des tensions ou des conflits existants dans le pays de destination finale.
4. Quatrième critère: préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales.
Les États membres refusent l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que le destinataire envisagé utilise la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée de manière agressive contre un autre pays ou pour faire valoir par la force une revendication territoriale. Lorsqu’ils examinent ces risques, les États membres tiennent compte notamment des éléments suivants:
a) l’existence ou la probabilité d’un conflit armé entre le destinataire et un autre pays;
b) une revendication sur le territoire d’un pays voisin que le destinataire a, par le passé, tenté ou menacé de faire valoir par la force;
c) la probabilité que la technologie ou les équipements militaires soient utilisés à des fins autres que la sécurité et la défense nationales légitimes du destinataire;
d) la nécessité de ne pas porter atteinte de manière significative à la stabilité régionale.
5. Cinquième critère: sécurité nationale des États membres et des territoires dont les relations extérieures relèvent de la responsabilité d’un État membre, ainsi que celle des pays amis ou alliés.
Les États membres tiennent compte des éléments suivants:
a) l’incidence potentielle de la technologie ou des équipements militaires dont l’exportation est envisagée sur leurs intérêts en matière de défense et de sécurité ainsi que ceux d’États membres et ceux de pays amis ou alliés, tout en reconnaissant que ce facteur ne saurait empêcher la prise en compte des critères relatifs au respect des droits de l’homme ainsi qu’à la paix, la sécurité et la stabilité régionales;
b) le risque de voir la technologie ou les équipements militaires concernés employés contre leurs forces ou celles d’États membres et celles de pays amis ou alliés.
6. Sixième critère: comportement du pays acheteur à l’égard de la communauté internationale, et notamment son attitude envers le terrorisme, la nature de ses alliances et le respect du droit international.
Les États membres tiennent compte, entre autres, des antécédents du pays acheteur dans les domaines suivants:
a) le soutien ou l’encouragement qu’il apporte au terrorisme et à la criminalité organisée internationale;
b) le respect de ses engagements internationaux, notamment en ce qui concerne le non-recours à la force, et du droit humanitaire international;
c) son engagement en faveur de la non-prolifération et d’autres domaines relevant de la maîtrise des armements et du désarmement, en particulier la signature, la ratification et la mise en oeuvre des conventions pertinentes en matière de maîtrise des armements et de désarmement visées au point b) du premier critère.
7. Septième critère: existence d’un risque de détournement de la technologie ou des équipements militaires dans le pays acheteur ou de réexportation de ceux-ci dans des conditions non souhaitées.
Lors de l’évaluation de l’incidence de la technologie ou des équipements militaires dont l’exportation est envisagée sur le pays destinataire et du risque de voir cette technologie ou ces équipements détournés vers un utilisateur final non souhaité ou en vue d’une utilisation finale non souhaitée, il est tenu compte des éléments suivants:
a) les intérêts légitimes du pays destinataire en matière de défense et de sécurité nationale, y compris sa participation éventuelle à des opérations de maintien de la paix des Nations unies ou d’autres organisations;
b) la capacité technique du pays destinataire d’utiliser cette technologie ou ces équipements;
c) la capacité du pays destinataire d’exercer un contrôle effectif sur les exportations;
d) le risque de voir cette technologie ou ces équipements réexportés vers des destinations non souhaitées et les antécédents du pays destinataire en ce qui concerne le respect de dispositions en matière de réexportation ou de consentement préalable à la réexportation que l’État membre exportateur juge opportun d’imposer;
e) le risque de voir cette technologie ou ces équipements détournés vers des organisations terroristes ou des terroristes;
f) le risque de rétrotechnique ou de transfert de technologie non intentionnel.
8. Huitième critère: compatibilité des exportations de technologie ou d’équipements militaires avec la capacité technique et économique du pays destinataire, compte tenu du fait qu’il est souhaitable que les États répondent à leurs besoins légitimes de sécurité et de défense en consacrant un minimum de ressources humaines et économiques aux armements.
Les États membres examinent, à la lumière des informations provenant de sources autorisées telles que les rapports du Programme des Nations unies pour le développement, de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de l’Organisation de coopération et de développement économiques, si le projet d’exportation risque de compromettre sérieusement le développement durable du pays destinataire. À cet égard, ils examinent les niveaux comparatifs des dépenses militaires et sociales du pays destinataire, en tenant également compte d’une éventuelle aide de l’Union européenne ou d’une éventuelle aide bilatérale.
La difficulté provient du fait que pour les États membres, il s’agit d’un examen au cas par cas et que le lien doit être direct entre le produit exporté et son utilisation contraire aux critères tels qu’ils sont définis. De plus, la Position commune précise bien (article 4, alinéa 2) que « la décision de procéder au transfert ou de refuser le transfert de technologie ou d’équipements militaires est laissée à l’appréciation nationale de chaque État membre ».
Une procédure d’information « confidentielle » et de consultation entre les États membres a été mise en place, pour harmoniser les politiques et éviter que certains États cherchent « à en tirer des avantages commerciaux ».
Cependant la Position commune repose sur une procédure de confiance entre les États et aucun système de vérification des autorisations au regard des critères, ni de sanctions en cas de non-respect, n’a été mis en place.
En terme de transparence, la seule information que nous disposons au niveau de la société civile de la part des États membres de l’Union européenne est la répartition du nombre des contrats et de leurs montants financiers selon les 22 catégories définies dans la liste de l’Union européenne Alors que, pour vérifier l’application par les États membres qui exportent en direction d’Israël des critères de la Position commune, il serait nécessaire que soit publiée la liste précise des matériels exportés…
Si on prend l’exemple de la France — qui représente environ la moitié des exportations de l’Union européenne, cf. la seconde partie — nous pouvons savoir qu’Israël a passé commande pour du matériel classé dans les catégories suivantes :
— Munitions et dispositifs de réglage de fusées ;
— Bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosifs et matériel et accessoires connexes ;
— Matériel de conduite de tir et matériel d’alerte et d’avertissement connexe, et systèmes et matériel d’essai, d’alignement et de contre-mesures connexes, spécialement conçus pour l’usage militaire, et leurs composants et accessoires ;
— Agents chimiques ou biologiques toxiques, "agents antiémeutes", substances radioactives, matériel, composants et substances connexes ;
— "Matières énergétiques", et substances connexes ;
— Navires de guerre (de surface ou sous-marins), matériel naval spécialisé, accessoires, composants et autres navires de surface ;
— "Aéronefs", "véhicules plus légers que l’air", véhicules aériens non habités, moteurs et matériel d’"aéronef", matériel connexe et composants, spécialement conçus ou modifiés pour l’usage militaire ;
— Matériel électronique non visé par ailleurs dans la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne ;
— Matériel d’imagerie ou de contre-mesures, spécialement conçu pour l’usage militaire, et ses composants et accessoires ;
— Matériel cryogénique et "supraconducteur" et ses composants et accessoires.
À la lecture de cette liste, nous pouvons que constater qu’il est fait référence à du matériel — selon l’usage qui en est fait — dont l’exportation est en contradiction avec les critères du code de conduite. Mais, sous couvert de secret commercial et autres arguments tout aussi fallacieux, la transparence fait défaut — et pour cause — sur le type de matériels vendu. Au niveau de l’Union européenne, seule est rendue publique le nombre de licences délivrées et une répartition du montant des commandes selon les 22 catégories définies dans la « Liste commune des équipements militaires de l’Union européenne »[13].
Pourtant, seule la publication d’une liste précise des produits exportés permettrait de mesurer plus précisément la contribution militaire — et la responsabilité — des différents États européens exportateurs dans les massacres perpétrés par l’armée israélienne à l’encontre des populations palestiniennes largement étayés par les différents rapports publiés par les organismes internationaux comme la commission Goldstone, Amnesty International, Human Rights Watch, etc. Et, par cette occasion, de vérifier comment les critères du Code de conduite de l’Union européenne sont appliqués. Car, le diable se cache dans les détails et l’enjeu des exportations d’armes ne peut se mesurer à la seule aune de son volume financier.
Certes, lorsque, par exemple, le gouvernement français est interpellé — que ce soit par des journalistes, des députés ou même par des représentants associatifs —, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, ne cesse d’affirmer que « s’agissant d’Israël, pays pour lequel le montant total des exportations françaises d’armements est relativement faible, la Cieemg [Commission interministérielle pour l’étude des exportations du matériel de guerre] est particulièrement vigilante sur toutes les exportations de matériels de guerre »[14]. Une affirmation de principe impossible à vérifier en l’absence d’éléments plus précis.
De même, interpellé par un député, qui s’inquiétait justement de « l’intensification des échanges dans le domaine de l’armement », M. Hervé Morin, ministre de la Défense, lui a répondu que « le niveau des ventes directes de matériels français à l’État israélien demeure relativement faible et reste concentré sur des composants »[15]. Soit.
Pourtant, des enquêteurs d’Amnesty International, à partir de débris d’un missile utilisé par les Israéliens à Gaza, à l’encontre d’une ambulance palestinienne, ont constaté que certains composants portaient la mention « made in France »[16].
Annexe 2
Tableau des transferts d’armes de la France en Israël
Année | Prise de commande | Livraisons | Montant des AEMG | Nombre d’AEMG |
2004 | 26,0 | 18,8 | 101,3 | 122 |
2005 (1) | 19,6 | 14,0 | 72,2 | 133 |
2006 | 18,4 | 22,3 | 89,1 | 144 |
2007 | 20,4 | 8,2 | 126,3 | 112 |
2008 | 8,4 | 16,2 | 75,0 | 104 |
Les données indiquées sont en millions d’euros constants 2008 et sont extraites du Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France en 2008 publié par le ministère de la Défense en août 2009 (disponibles sur le site : www.defense.gouv.fr).
Selon la terminologie française, le chiffre des prises de commandes correspond au montant total des contrats signés et entrés en vigueur par le versement d’un premier acompte durant l’année considérée ; celui des livraisons au total de celles effectuées durant l’année. Seule la part française de la production est comptabilisée. L’écart entre les deux montants s’explique par : le décalage chronologique des commandes et des livraisons ; l’échelonnement des livraisons sur plusieurs années ; ainsi que par les fluctuations des taux de change.
Le montant des AEMG (Autorisation d’exportation de matériel de guerre) correspond au total des dossiers déposés auprès de la CIEEMG (Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre) par les exportateurs pour obtenir les autorisations nécessaires pour répondre aux appels d’offre et négocier les contrats.
1) Dans le rapport du Coarm pour l’année 2005, le montant des livraisons indiqué est seulement de 12,8 millions d’euros (cf. le Journal officiel de l’Union européenne du 16/10/2006) ; soit inférieur de 0,4 million d’euros à celui indiqué dans le Rapport au Parlement. Erreur de transcription ?
Montant des cessions de matériels et d’équipements par le ministère de la Défense
Année | Cessions onéreuses |
2004 | 214 875,50 |
2005 | 5 447,10 |
2006 | 650,80 |
2007 | 2 236,40 |
2008 | 3 537,20 |
Le ministère de la Défense procède régulièrement à des cessions onéreuses et gratuites de matériel à destination de différents États. En ce qui concerne les cessions à destination d’Israël, il s’agit de matériel de guerre hors armes légères et de petits calibres. Les montants indiqués sont en euros courants et sont extraits des éditions successives du Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France publié par le ministère de la Défense (disponibles sur le site : www.defense.gouv.fr).
Répartition des exportations d’armes par catégories
Catégories | Livraisons 2004 | Livraisons 2005 | Livraisons 2006 | Commandes 2007 | Commandes 2007 |
ML1 - armes légères < 12,7 mm |
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ML2 - canons > 12,7 mm, mortiers, armes antichars |
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ML3 - Munitions tous calibres | 1,2 | 1,5 | 1,5 | 0,0 | 0,0 |
ML 4 - Missiles (hors antichar) | 0,0 |
| 0,1 | 1,1 | 0,21 |
ML5 - conduite de tirs, radars | 0,0 | 0,6 | 0,3 | 5,7 | 2,0 |
ML6 - Véhicules à roues ou chenilles | 0,1 |
| 0,6 |
|
|
ML7 - NBC (détection, protection) | 0,2 | 0,2 | 0,2 | 0,1 | 0,2 |
ML8 -Explosifs ou matériaux de propulsion |
| 0,0 | 0,0 | 0,1 | 0,3 |
ML9 - Navires (surface et sous-marins) | 1,9 | 0,1 | 0,5 | 1,3 | 0,3 |
ML10 - Aéronefs (avions, hélicoptères, drones) | 5,3 | 5,1 | 5,1 | 5,9 | 3,0 |
ML11 - Transmissions, contre-mesures | 1,8 | 0,8 | 4,7 | 2,5 | 1,3 |
ML 12 - Systèmes d’armes à énergie cinétique |
|
|
|
|
|
ML 13 - Matériaux de blindage, casques, gilets | 6,1 | 3,4 |
| 0,0 |
|
ML14 - Entraînements, simulateurs |
|
| 0,0 |
|
|
ML15 - Imagerie, optronique | 0,7 | 1,0 | 0,3 |
| 0,0 |
ML16 - Pièces de forge ou de fonderie | 0,0 |
|
|
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ML17 - Appareils de plongée, matériel de génie, robots |
|
|
|
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ML18 - Matériaux de production d’armement |
|
| 0,1 |
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ML19 - Armes à énergie dirigée |
|
|
|
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ML20 - Matériel cryogénique ou supraconducteur |
| 0,0 | 8,1 | 3,2 | 1,2 |
ML21 – Logiciels |
|
|
|
|
|
ML22 – Technologies |
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|
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Total | 17,4 | 12,8 | 21,4 | 19,8 | 8,4 |
Les données indiquées sont en millions d’euros courants et sont extraites des éditions successives du Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France publié par le ministère de la Défense (disponibles sur le site : www.defense.gouv.fr).
Les transferts d’armes sont réparties selon la « Liste commune des équipements militaires » établie par l’Union européenne (disponible sur : http://www.consilium.europa.eu/showPage.aspx?id=1484&lang=fr).
0,0 signifie un montant inférieur à 50 000 euros.
Depuis l’édition du Rapport sur les exportations d’armement de la France en 2007, seule la répartition du montant des commandes est indiquée et non celle des livraisons comme les années précédentes… Ce qui ne facilite pas les comparaisons !
Selon les données publiées dans les éditions successives du Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, aucune exportation d’ALPC (armes légères et de petits calibres) n’a été effectuée en direction d’Israël durant les cinq dernières années (2004 à 2008).
Annexe 3
Comment les fabricants d’armes israéliens bénéficient des fonds européens pour la recherche
Israël est le principal partenaire étranger dans « le programme cadre » de l’Union Européenne pour la recherche scientifique auquel a été alloué 53 milliards d’euros entre 2007 et 2013. L’UE est la seconde source de financement de la fondation israélienne pour les sciences basée à Jérusalem.
Israël escompte que son investissement dans l’actuel programme européen atteindra une valeur d’au moins 500 millions d’euros d’ici sa conclusion en 2013.
Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, l’UE a décidé ces dernières années que les entreprises d’armement pouvaient recevoir des financements pour la « recherche en sécurité ». Dix des 45 projets initiaux présentés par l’UE comme étant de la « recherche en sécurité » ont impliqué des entreprises et des institutions universitaires ou d’état israéliennes.
Motorola-Israël, par exemple, prend part au projet « iDetect 4All », un projet de surveillance financé par l’UE destiné à envoyer des alertes sur des activités suspectes à proximité de bâtiments ou des ressources ayant une valeur économique. Motorola est le premier fabricant de fusibles pour les bombes utilisées par l’aviation israélienne. Des composants d’armements munis d’une étiquette Motorola ont été découverts par les enquêteurs de Human Rights Watch qui avaient fouillé les sites bombardés par Israël à Gaza à la fin de 2008 et au début de 2009. Les fusibles Motorola sont également un élément central de la bombe avec laquelle Israël a massacré au moins 28 civils, en majorité des enfants, réfugiés dans un immeuble d’habitation à Qana, au Liban, en 2006.
Le projet « iDetect 4All » est susceptible de s’appuyer sur l’expérience acquise lors de l’utilisation des technologies de surveillance en Cisjordanie occupée. Au cours de ces cinq dernières années, un système radar Motorola d’une valeur de 158 millions de dollars a été installé dans 47 colonies de peuplement israéliennes. « The Jerusalem Post » a décrit le système comme une barrière « virtuelle » qui utilise des caméras thermiques pour repérer « les intrus ».
Ce ne sont pas tous les projets financés par l’UE et impliquant Israël qui relèvent de la catégorie de la recherche en sécurité. Israël participe aussi à la recherche en sécurité routière et à la recherche environnementale. Il est cependant instructif de constater que les entreprises d’armement israéliennes soient apparemment investies dans des projets civils, ce qui laisse supposer que les technologies qu’ils y développent peuvent avoir des applications militaires.
Israel Aerospace Industries (IAI), le fabricant des avions de guerre utilisés par Israël dans les territoires palestiniens occupés, a également bénéficié de plusieurs projets financés par l’Union Européenne. Il s’agit notamment du projet « Clean Sky », visant à développer des moteurs d’avion plus respectueux de l’environnement. La Commission européenne a confirmé que IAI sera en mesure de faire enregistrer des brevets sur les innovations réalisées dans le cadre de ce projet, lui permettant d’utiliser à des fins militaires les fruits de la recherche financée par les contribuables européens.
Elbit, la plus grande compagnie privée d’armes en Israël, participe à un projet intitulé CAPECON (Civil Applications and Economical Effectivity of Potential UAV Configurations). Son objectif est de fournir un plan de vol à des engins aériens sans pilote (UAV) dans l’espace aérien civil en 2015. Plus connus sous le nom de « drones », les engins volants d’Elbit ont été fréquemment utilisés dans les attaques contre les civils palestiniens ainsi qu’en Afghanistan et en Irak. Thomas Bingham, un juriste britannique de premier plan, a comparé ces armes aux mines terrestres et aux bombes à fragmentation et a estimé qu’elles étaient aussi cruelles « car elles sont au-delà de ce qui est humainement supportable ».
Israël est étroitement lié aux activités de recherche de l’UE sur les nanotechnologies. À la suite de la guerre d’Israël contre le Liban en 2006, Shimon Peres (devenu président israélien) a exprimé le désir de voir les nanotechnologies devenir les armes de l’avenir. Bien qu’Israël ait plus récemment voulu donner l’impression que la plupart de ses activités de recherche en nanotechnologie étaient de nature médicale, l’intérêt d’Israël dans ce domaine scientifique ne peut pas être séparé de l’occupation de la Palestine. La stratégie nationale israélienne concernant les nanotechnologies est mise en œuvre avec les conseils de représentants du ministère israélien de la défense et l’ancien président de « Rafael », l’autorité israélienne pour le développement d’armes.
Dans un rapport publié en 2004, le réseau euro-méditerranéen des organisations des droits de l’homme a documenté la façon dont les entreprises dans les colonies israéliennes situées sur les hauteurs du Golan et dans la vallée du Jourdain, ont bénéficié de subventions européennes pour la recherche. La participation de ces entreprises dans les activités de l’UE contredit les déclarations selon lesquelles seuls des organismes situés à l’intérieur des frontières israéliennes internationalement reconnues étaient en droit de coopérer avec l’Union.
* David Cronin est journaliste irlandais et vit à Bruxelles.
Son ouvrage « Europe’s Unholy Alliance with Israel » sera publié chez Pluto Press en 2010.
Publié par IPSC (Ireland Palestine Solidarity Campaign) http://www.ipsc.ie
Publié le samedi 16 janvier 2010 en français par Info Palestine - Traduction de l’anglais : Claude Zurbach
http://www.info-palestine.net/artic...
[1] Hormis en 1948, ou le Conseil de sécurité imposa un embargo sur les transferts d’armes vers Israël et les pays arabes voisins alors en conflit. De courte durée, il fut levé en 1949 après la signature d’une convention d’armistice entre Israël, l’Égypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie.
[2] Cf. Décision en matière de transferts d’armes. Application des critères fondés sur le droit international. Guide pratique, CICR, juin 2007, p. 3.
[3] Disponible sur le site du CICR : http://www.icrc.org/web/fre/sitefre0.nsf/html/conf28?OpenDocument#Document%20cl%C3%A9
[4] Cf. http://www.un.org/fr/documents/charter/index.shtml/.
[5] Cf. http://disarmament.un.org/UN_REGISTER.nsf/.
[6] Selon une dépêche en date du 19 janvier 2010 publiée sur le site www.israelvalley.com/.
[7] Cf. http://www.sipri.org/databases/armstransfers/.
[8] Cf. http://www.smallarmssurvey.org/.
[9] Cf. http://www.consilium.europa.eu/showPage.aspx?id=1484&lang=fr/.
[10] Le chiffre des prises de commandes et des livraisons est issu du Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France en 2008, publié par le ministère de la défense, septembre 2009 et disponible sur le site : http://www.defense.gouv.fr/.
[11] Cf. la contribution de Caroline Pailhe , « L’Union européenne et son code de conduite », in Qui arme Israël et le Hamas ?, ouvrage collectif publié par le Grip, Amnesty International et l’Observatoire des armements, mai 2009.
[12] « Armement: Charles Millon veut doper les échanges avec Israël », Claudine Meyer, Les Échos du 17 février 1997.
[13] Disponible sur le site : http://www.consilium.europa.eu/showPage.aspx?id=1484&lang=fr/.
[14] Point presse du porte parole du Quai d’Orsay en date du 16 janvier 2009 (www.diplomatie.gouv.fr).
[15] Question n° 17773 de M. Jean-Jacques Candelier, député du Nord publié au Journal officiel du 26 février 2008, p. 1526 ; réponse du ministre de la Défense publiée au Journal officiel du 13 mai 2008, p. 4001. Disponibles sur le site : http://questions;assemblee-nationale.fr/q13/13-17773QU.htm/.
[16] Cf. le rapport Fuelling conflict: Foreign arms supplies to Israel/Gaza publié le 23 février dernier par Amnesty International, pp. 12-13 (AI Index : MDE 15/012/2009).