Le respect par l’Union européenne de ses obligations internationales en relation avec la construction par Israël du Mur en territoire palestinien occupé
Dans son avis consultatif rendu le 9 juillet 2004 dans l’affaire concernant les Conséquences juridiques de la construction d’un mur en Territoire palestinien occupé[1] (ci-après « l’avis »), la Cour a conclu à l’illégalité de la construction par Israël du « Mur » et du régime juridique qui y est associé. Cette construction, dans la mesure où elle se faisait en territoire palestinien occupé, a été jugée comme étant contraire au droit international humanitaire, à divers instruments concernant les droits de l’homme, ainsi qu’au principe du droit des peuples à l’autodétermination. En conséquence, la Cour a non seulement indiqué qu’Israël avait l’obligation de cesser l’érection du mur et de détruire les portions déjà construites mais a également établi que pesaient sur les Etats tiers et les Nations Unies une série d’obligations juridiques visant l’Etat d’Israël, formulées de la manière suivante :
- « Tous les Etats sont dans l'obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction; tous les Etats parties à la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, ont en outre l'obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention » ;
- « II appartient par ailleurs à tous les Etats de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu'il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination » ;
- « L'Organisation des Nations Unies, et spécialement l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité, doit, en tenant dûment compte du présent avis consultatif, examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé ».
Comme on peut le constater, la mise en œuvre de l’avis relatif au mur se conçoit essentiellement, pour les Etats, en terme d’obligations telles qu’elles sont constatées par la Cour internationale de Justice[2].
A la suite du prononcé de la décision sur le Mur, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, à une très large majorité[3], la résolution ES 10/15 par laquelle elle « prend acte de l’avis consultatif donné par la Cour internationale de Justice »[4]. Par cette résolution, l’Assemblée « demande à tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies de s’acquitter de leurs obligations juridiques telles qu’elles sont énoncées dans l’avis consultatif»[5]. Cet élément de la résolution est fondamental, puisqu’il indique que les Etats qui ont voté en sa faveur, parmi lesquels on compte l’ensemble des Etats membres de l’UE, se reconnaissent effectivement liés par les obligations qui sont énoncées à leur charge dans l’avis de la Cour[6].
De l’avis de la CIJ et de la résolution ES 10/15 de l’AG des Nations Unies, on peut donc dégager à charge des Etats membres de l’Union européenne les obligations internationales suivantes, conçues comme constituant dans leur chef la conséquence juridique du caractère illicite de la construction par Israël du mur en territoire palestinien occupé :
- l'obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur ;
- l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction ;
- l'obligation de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949 ;
- l’obligation de veiller à ce qu'il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination ;
- l’obligation, au sein des Nations Unies, d’examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur.
Tandis que les deux premières obligations visent un devoir d’abstention (obligation de ne pas faire), les trois dernières impliquent de la part des Etats l’adoption d’un comportement actif visant à amener Israël à se conformer au droit international. Dans la suite du rapport, nous examinerons successivement le respect par l’UE et ses Etats membres de ces deux catégories d’obligations.
I. Le respect par l’Union européenne de ses obligations d’abstention concernant la situation illicite créée par la construction du mur en territoire palestinien
Comme on l’a montré, l’UE et ses Etats membres sont tenus par un devoir d’abstention qui se composent de deux obligations distinctes : ne pas reconnaître la situation illégale créée par la construction du mur (A) ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation (B).
A. Le respect par l’Union européenne et ses Etats membres de leur obligation de ne pas reconnaître la situation illicite créée par la construction du mur
L’illicéité de la construction du mur implique que les Etats n’admettent aucun effet juridique à la situation de fait établie par cette construction. Cette obligation découle du fait que, comme l’a constaté la CIJ, « le tracé choisi pour le mur consacre sur le terrain les mesures illégales prises par Israël et déplorées par le Conseil de sécurité [l’installation de colonies de peuplement] » et que le mur « dresse ainsi un obstacle grave à l'exercice par le peuple palestinien de son droit a l'autodétermination[7] » de même qu’il viole le droit international humanitaire et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[8]. Selon la commission du droit international, cette obligation « vise non seulement la reconnaissance officielle de ces situations mais aussi l’interdiction de tous actes qui impliqueraient une telle reconnaissance »[9].
La vérification du respect de cette obligation suppose d’analyser les positions prises par l’UE et ses Etats membres, en relation avec la construction du mur par Israël. A cet égard, il ne semble pas que les déclarations ou les actes adoptés par l’UE ou ses Etats membres traduisent une quelconque reconnaissance juridique de la situation illégale établie par l’érection du mur. Comme on l’a vu, les Etats membres de l’UE ont voté en faveur de la résolution ES 10-15 de l’AG des Nations Unies qui prend acte de l’avis de la CIJ et ont depuis lors approuvé, au sein de l’UE, plusieurs déclarations réaffirmant l’illicéité de la construction du mur par Israël. Ainsi, lors du sommet tenu à Bruxelles en juin 2005, le Conseil européen a énoncé :
« Le Conseil européen, tout en reconnaissant le droit d'Israël de protéger ses citoyens contre des attentats, demeure préoccupé par la poursuite de la construction de la barrière de séparation dans le territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est et dans ses alentours, en contradiction avec les dispositions pertinentes du droit international. […]
Le Conseil européen réitère l'importance qu'il attache au respect de la légalité internationale par les parties. En particulier, aucune partie ne devrait entreprendre des mesures unilatérales ni préjuger des questions relatives au statut final. L'Union européenne ne reconnaîtra aucune modification des frontières de 1967 autre que celles qui sont négociées entre les parties »[10].
Dans le même sens, le Conseil des affaires étrangères du 8 décembre 2009 a rappelé « que les colonies de peuplement et la barrière de séparation ont été érigées sur des terres occupées, que la démolition de maisons et les expulsions sont illégales au regard du droit international, qu'elles constituent un obstacle à la paix et menacent de rendre impossible une solution fondée sur la coexistence de deux États »[11].
On peut dès lors conclure que l’UE et ses Etats membres ont satisfait à leur obligation de ne pas reconnaître comme valide la situation illégale créée par la construction du mur en territoire palestinien occupé.
B. Le respect par l’Union européenne et ses Etats membres de leur obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la construction du mur
La construction du mur par Israël établissant une situation illégale, les Etats tiers ne peuvent prêter aucune aide ou assistance au maintien de cette situation. Cette obligation « vise les comportements qui, ex post facto, aident l’Etat responsable à maintenir une situation » qui se prolonge en violation du droit international[12]. En l’espèce, ce serait notamment le cas d’Etats qui offriraient à Israël une aide financière ou une assistance technique dédiée aux travaux de construction du mur. A notre connaissance, aucune aide de ce type n’est accordée à Israël par l’UE ou ses Etats membres, de sorte que l’on doit considérer que ceux-ci respectent leurs obligations internationales à cet égard.
II. Le respect par l’Union européenne et ses Etats membres de leurs obligations de faire respecter le droit international par Israël
Le second volet des obligations qui s’imposent aux Etats consiste à faire respecter par Israël le droit international humanitaire et le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. L’avis de la CIJ souligne la fait que ces obligations doivent être mises en œuvre par les Etats individuellement ou collectivement, notamment au sein des Nations Unies.
L’obligation de faire respecter le droit international humanitaire prend sa source dans l’article 1er commun aux conventions de Genève[13], qui énonce que « les Hautes Parties contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances ». Selon le Commentaire des Conventions de Genève, « si une Puissance manque à ses obligations, les autres Parties contractantes (neutres, alliées ou ennemies) peuvent elles - et doivent elles - chercher à la ramener au respect de la Convention »[14]. Cela implique que les Etats « fassent […] tout ce qui est en leur pouvoir pour que les principes humanitaires qui sont à la base des Conventions soient universellement appliqués »[15].
L’obligation de veiller à la mise en œuvre du droit du peuple palestinien à l’autodétermination découle, selon la Cour, de son caractère d’obligation erga omnes et du principe énoncé par la résolution 2625 (XXV) de l’AG des Nations Unies, selon laquelle « tout Etat a le devoir de favoriser, conjointement avec d'autres Etats ou séparément, la réalisation du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte »[16].
La difficulté posée par la mise en œuvre de ces deux obligations réside en ce qu’elles constituent des obligations de comportement ou de moyen, consistant à déployer une diligence raisonnable afin d’obtenir le respect de l’obligation internationale en cause. A cet égard, les mesures à déployer afin d’amener l’Etat concerné à respecter ses engagements ne sont pas prédéfinies, et sont tributaires des moyens à la disposition des Etats, dans les circonstances particulières de l’espèce[17]. Ainsi, si la Cour indique dans son avis qu’il faudra « examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé », elle ne détermine pas en quoi devraient consister ces « nouvelles mesures »[18].
Concernant l’obligation de faire respecter le droit humanitaire, les mesures pouvant contribuer à en assurer la mise en œuvre qui sont évoquées par la doctrine sont de nature très variées quant à leur portée coercitive, et vont des condamnations publiques aux contre-mesures, en passant par les mesures de rétorsion (rupture des relations diplomatiques, non renouvellement d’avantages,…) ou encore la saisine du Conseil de sécurité[19]. S’y ajoutent des mesures propres au droit international humanitaire, comme la convocation d’une Conférence des Hautes Parties contractantes, l’établissement d’une commission d’établissement des faits ou la répression des infractions graves de droit humanitaire[20]. Concernant l’obligation relative à la mise en œuvre du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, elle se limite, selon le texte de la résolution 2625 déjà cité, à un « devoir de favoriser » ce droit, « conjointement avec d'autres Etats ou séparément ».
La portée exacte des obligations mises à la charge des Etats par l’avis de la CIJ demeure assez floue quant aux mesures précises que leur respect impose d’adopter[21]. Il n’est dès lors guère aisé de fixer le minimum attendu des Etats pour satisfaire leur obligation de « faire respecter » le droit humanitaire ou de « favoriser » le droit à l’autodétermination ? Toutefois, s’agissant de véritables obligations, on peut considérer qu’il est requis des Etats qu’ils adoptent, dans le respect du droit international, les mesures raisonnablement envisageables qui sont de nature à inciter effectivement l’Etat concerné à respecter le droit international. Il est a fortiori exigé que les Etats s’abstiennent d’actes qui iraient à l’encontre de l’objectif d’incitation au respect du droit humanitaire et du droit à l’autodétermination.
A l’heure actuelle, il faut partir du constat qu’Israël n’a pas mis fin à la construction du Mur, qui s’est poursuivie depuis 2004, ce qui signifie que les mesures prises jusqu’à présent se sont révélées inefficaces. Dans les lignes qui suivent, nous examinerons tout d’abord, quelles sont les actions effectivement entreprises par l’UE et ses Etats membres en vue de mettre en œuvre leurs obligations énoncées dans l’avis (1). Ensuite, nous examinerons si d’autres mesures plus efficaces sont raisonnablement à la disposition de l’UE et ses Etats membres afin de faire respecter par Israël ses obligations internationales (2). Enfin, nous vérifierons si l’UE et ses Etats membres ont adopté des mesures pouvant être considérées comme allant à l’encontre de l’objectif d’amener Israël à respecter le droit humanitaire et le droit à l’autodétermination du peuple palestinien (3). La conjonction de ces trois éléments nous permettra de faire une évaluation de la manière dont l’UE et ses Etats membres ont rempli leurs obligations de faire respecter le droit humanitaire et de favoriser le droit à l’autodétermination par Israël.
1. Les mesures prises par l’UE et ses Etats membres pour faire respecter le droit international par Israël en relation avec la construction du mur
La première mesure à avoir été adoptée par les Etats de l’UE est le vote en faveur de la résolution de l’AG des Nations Unies ES 10/15 du 20 juillet 2004. Cette résolution prévoit la mise en œuvre de deux mesures particulières : une demande adressée au Secrétaire général de créer un registre des dommages subis par la population palestinienne et une invitation faite à la Suisse, en tant que dépositaire des Conventions de Genève, à conduire des consultations et à faire rapport sur les moyens d’assurer le respect du droit humanitaire dans l’affaire en cause.
Le Registre des dommages a été créé en décembre 2006 par la résolution ES-10/17, en faveur de laquelle les Etats de l’UE ont voté[22]. Comme le précise le préambule de la résolution, cette mesure s’inscrit dans la mise en œuvre de l’avis de la CIJ, en particulier son paragraphe 153, et des principes du droit humanitaire et des droits de l’homme[23]. En juin 2009, environ 1500 plaintes avaient été enregistrées[24]. Il faut toutefois noter qu’en l’absence de toute coopération d’Israël, le dédommagement effectif des populations palestiniennes affectées par la construction du Mur risque bien de rester lettre morte.
La seconde demande, adressée à la Suisse, a conduit à la publication par cette dernière d’un Rapport en juillet 2005 relatif aux consultations menées à l’égard des Etats Parties quant aux moyens d’assurer le respect par Israël de la 4e Convention de Genève, en particulier en relation avec la construction du mur[25]. Sans entrer dans le détail de l’analyse[26], le Rapport rendu par la Suisse n’a débouché sur aucune recommandation précise quant à l’adoption de mesures concrètes visant à inciter Israël à respecter le droit humanitaire, et ce en raison de l’absence de consensus parmi les Etats.
Au delà de l’appui aux mesures prévues par la résolution ES-10/15, la politique de l’UE s’est limitée à réitérer sa condamnation de l’édification du Mur dans plusieurs déclarations consacrées au processus de paix au Moyen-Orient[27].
2. L’abstention de prendre d’autres mesures à la disposition de l’UE et de ses Etats membres susceptibles de contribuer à faire respecter ses obligations internationales par Israël
La politique de l’UE décrite ci-dessus, qui a consisté essentiellement en l’adoption de déclarations de condamnation, ayant démontré son inefficacité, il est nécessaire de vérifier si d’autres mesures étaient raisonnablement disponibles, mesures qui auraient davantage pu contribuer à inciter Israël à se conformer aux prescrits du droit international.
Parmi les moyens de « sanction » dont dispose les Etats afin de signifier leur réprobation face à une violation grave du droit international figure la prise de mesures de rétorsion, qui se définissent comme des actes inamicaux licites en eux-mêmes, pris en réaction à un acte inamical ou illicite[28]. Dans le cas présent, ces mesures pourraient consister en la suppression d’avantages commerciaux. On pense en particulier à la possibilité de dénonciation ou de suspension de l’Accord d’association conclu par l’Union européenne avec Israël[29] , qui accorde aux parties une série d’avantages économiques et douaniers. Une telle mesure ne soulèverait guère de difficultés juridiques, dans la mesure où l’article 82 de l’Accord autorise « chacune des Parties [à] dénoncer l’accord en notifiant son intention à l’autre partie », l’accord cessant « d’être applicable six mois après cette notification ». Le recours à la possibilité de dénoncer l’Accord d’association s’impose d’autant plus que son article 2 précise que « les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques, qui inspire leurs politiques internes et internationales et qui constitue un élément essentiel du présent accord » et que son préambule souligne « l’importance que les parties attachent […] aux principes de la charte des Nations Unies ». L’existence d’une décision de la CIJ établissant dans le chef d’Israël de multiples violations des droits de l’homme et du droit humanitaire et le refus persistant d’Israël d’y mettre fin rend difficilement justifiable le fait que l’UE s’abstienne de conditionner toute poursuite de l’application de l’Accord au respect du droit international.
On constate que des mesures conformes au droit international sont à la disposition de l’UE, mais que celle-ci ne préfère pas, par choix politique, y avoir recours, officiellement pour favoriser le processus de négociation[30]. La poursuite du processus de paix est en effet souvent invoquée pour tolérer la continuation de violations d’obligations internationales[31], dont la Cour a pourtant souligné le caractère d’obligations erga omnes[32]. Cette attitude a été sévèrement critiquée par un groupe de huit experts et rapporteurs spéciaux de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme, dans une déclaration publiée en août 2005 :
« In large measure it seems that the ICJ's Opinion has been ignored in favour of negotiations conducted in terms of the Road Map process. The exact nature of these negotiations is unclear but it seems that they are not premised on compliance with the Opinion of the ICJ. They seem to accept the continued presence of some settlements, which were found by the ICJ to be unlawful, and by necessary implication the continued existence of some parts of the wall in Palestinian territory. In short, there seems to be an incompatibility between the Road Map negotiations and the Court's Opinion […] »[33].
Dans cette mesure, il est essentiel que l’UE, notamment au sein du Quartet, promeuve un processus de négociation qui se fonde sur le respect immédiat par Israël de ses obligations internationales, en particulier la cessation de la construction du mur en territoire palestinien occupé qui, comme l’a souligné la CIJ, vient renforcer l’installation illégale de colonies et « risque également de conduire à de nouvelles modifications dans la composition démographique du territoire palestinien occupé »[34]. En s’abstenant d’exiger que tout processus de paix prenne appui sur le respect préalable par Israël de ses obligations internationales, l’UE manque à son devoir de faire respecter le droit humanitaire et de favoriser le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
3. L’adoption par l’UE de mesures allant à l’encontre de l’objectif de respect du droit international par Israël
Depuis l’avis rendu par la CIJ, non seulement l’UE n’a pas envisagé de prendre des mesures de rétorsion à l’égard d’Israël, mais en outre elle a choisi de lui accorder des avantages politiques et économiques supplémentaires. Le 8 décembre 2008, le Conseil de l’UE a décidé de procéder à un rehaussement de ses relations bilatérale avec Israël, en vue du renforcement des structures du dialogue politique avec cet Etat[35]. Cet approfondissement des relations implique notamment la tenue annuelle d’un sommet au niveau des chefs d’Etat, de trois réunions au niveau des ministres des Affaires étrangères, l’invitation d’experts israéliens aux réunions de groupes de travail traitant de questions telles que le processus de paix au Proche-Orient, les droits de l’homme ou la lutte contre le terrorisme, l’invitation à l’alignement d’Israël sur les positions de l’UE en matière de politique étrangère et de sécurité commune ou encore la mise en œuvre d’efforts en vue d’une normalisation du statut d’Israël au sein du système institutionnel des Nations Unies. De manière tout à fait paradoxale, la décision du Conseil souligne que « ce rehaussement doit être fondé sur les valeurs partagées des deux parties, en particulier sur la démocratie et le respect des droits de l’Homme, de l’Etat de droit et des libertés fondamentales, la bonne gouvernance et le droit humanitaire international », tandis qu’à l’occasion de ce même sommet, le Conseil a condamné la politique israélienne de colonisation comme « contraire au droit international » et compromettant « la création d’un Etat palestinien viable ». La conclusion d’un accord donnant à Israël un statut privilégié auprès de l’Union, supposé fondé sur le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire, alors même que cet Etat est convaincu de violer de manière grave ces droits et n’offre nullement de mettre fin à ces violations apparaît être en claire violation de l’obligation de l’UE et de ses Etats membres de faire respecter la 4e Convention de Genève et de favoriser le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Depuis l’avènement du gouvernement mis en place par B. Netanyahu, il semble que la mise en œuvre du rehaussement des relations avec Israël ait été freinée par les autorités européennes[36]. Mais en l’absence d’une décision officielle de suspendre ou rapporter la décision de rehaussement, celle-ci demeure en son principe et continue à poser problème avec les engagements internationaux de l’UE et ses Etats membres.
Conclusions
Au terme du présent rapport, il est permis de tirer les conclusions suivantes concernant la responsabilité internationale de l’UE et de ses Etats membres en relation avec la construction par Israël du Mur en territoire palestinien occupé :
- les obligations internationales auxquelles sont tenus l’UE et ses Etats membres :
Au regard des principes de droit international pertinents, appliqués dans l’avis de la Cour internationale de Justice du 9 juillet 2004 et repris dans la résolution ES-10/15 de l’AG des Nations Unies, l’UE et ses Etats membres sont tenus par l'obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction, de même qu’ils sont tenus par une obligation de faire respecter par Israël le droit international humanitaire et une obligation de veiller à ce qu'il soit mis fin aux entraves à l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination. Enfin, il incombe l’obligation d’examiner au sein des Nations Unies quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur.
- la responsabilité internationale de l’UE et de ses Etats membres au regard de ces obligations :
1° Compte tenu des déclarations répétées condamnant l’illégalité de la construction du Mur, l’UE et ses Etats membres ont satisfait à leur obligation de ne pas reconnaître comme valide la situation illégale créée par la construction du mur en territoire palestinien occupé ;
2° Il n’existe aucun élément permettant de conclure au manquement par l’Union européenne et ses Etats membres de leur obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la construction du mur ;
3° En s’abstenant de prendre des mesures efficaces visant à inciter Israël à respecter le droit international, comme la suspension de l’Accord d’association, l’UE et ses Etats membres violent leur obligation de faire respecter le droit international humanitaire et de favoriser le droit à l’autodétermination du peuple palestinien ;
4° En promouvant, au sein du Quartet, un processus de paix qui n’exige pas d’Israël la cessation immédiate de la construction du Mur et qui en tolère la poursuite, l’UE et ses Etats membres violent leur obligation de faire respecter le droit international humanitaire et de favoriser le droit à l’autodétermination du peuple palestinien ;
5° En accordant des avantages complémentaires à Israël au terme d’un accord de rehaussement qui se présente comme fondé sur le respect du droit international humanitaire alors même que ce droit est violé par cet Etat de manière grave et persistante, l’UE et ses Etats membres violent leur obligation de faire respecter le droit international humanitaire et de favoriser le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
[1] C.I.J., Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, Avis consultatif du 9 juillet 2004, http://www.icj-cij.org.
[2] Voy. R. O’KEEFE, « Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory : A Commentary », R.B.D.I., 2004/1, pp. 142-146 ; V. LOWE, « The significance of the Advisory Opinion on the Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory : A Legal Analysis », in Implementing the ICJ Advisory Opinion on the Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory — The role of Governments, intergovernmental organizations and civil society, Report, 27 may 2005, United Nations, International Meeting, on the Question of Palestine, Geneva, 8 and 9 March 2005, http://domino.un.org/UNISPAL.NSF/frontpage5!OpenPage, pp. 22-24 ; P. WECKEL, « Chronique de jurisprudence internationale », R.G.D.I.P., 2004, p.1035.
[3] 150 voix pour, 6 contre (Etats-unis, Israël, Austraie, Palau, Micronesie, Iles Marshall) et 10 abstentions.
[4] A/RES/ES-10/15, Avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, 20 juillet 2004.
[5] Nous soulignons.
[6] Voy. P. BEKKER, « The ICJ's Advisory Opinion regarding Israel's West Bank Barrier and the Primacy of International Law », in Implementing the ICJ Advisory Opinion on the Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory — The role of Governments, intergovernmental organizations and civil society, op. cit., pp. 64-70 ; M. HMOUD, « The significance of the Advisory Opinion rendered by the ICJ on the legal consequences of the construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory », in Implementing the ICJ Advisory Opinion on the Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory — The role of Governments, intergovernmental organizations and civil society, op. cit., 53-60.
[7] Avis, § 122.
[8] Avis, § 137.
[9] Commission du droit international, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, 2001, p. 309.
[10] Conseil européen de Bruxelles, Conclusions de la présidence, 16 et 17 juin 2005, Annexe IV, 10255/05.
[11] Conclusions du Conseil des Affaires étrangères sur le processus de paix au Proche-Orient, 8 décembre 2009, 17281/09.
[12] Commission du droit international, op. cit., p. 313.
[13] Voy. Avis, § 158. Voy. aussi C.I.J., affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ciRec. 1986, § 220 ; L. BOISSON DE CHAZOURNES et L. CONDORELLI, « Quelques remarques à propos de l’obligation des Etats de “respecter et faire respecter” le droit international humanitaire “en toutes circonstances” », in Studies and Essays on International Humanitarian Law ans Red Cross Principles in Honour of Jean Pictet, Geneva-The Hague, Martinus Nijhof Publishers, 1984, pp. 17-35 ; L. BOISSON DE CHAZOURNES et L. CONDORELLI, « Common Article 1 of the Geneva Conventions revisited : Protecting Collective Interests », I.R.R.C., 2000, pp. 67-89 ; N. LEVRAT, « Les conséquences de l’engagement pris par les Hautes Parties contractantes de “faire respecter” les Conventions humanitaires », in F. KALSHOVEN and Y. SANDOZ (Eds), Implementation of International Humanitarian Law, Dordercht/Boston/London, Martinus Nijhof Publishers, 1989, 267-269 ; E. DAVID, Principes de droit des conflits armés, 3e ed., Brussels, Bruylant, 2002, pp. 562-569. (Nicaragua c. États-Unis),
[14] J. PICTET (Dir.), Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire, vol. IV, Genève, CICR, 1956, 21.
[15] Ibidem, nous soulignons.
[16] Avis consultatif, § 156. Voy. M. CHEMILLER-GENDREAU, « Responsibility of Governments and intergovernmental organizations in upholding international law » in Implementing the ICJ Advisory Opinion on the Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory — The role of Governments, intergovernmental organizations and civil society, op. cit., pp. 71 et s.
[17] See N. LEVRAT, op. cit., pp. 275-281.
[18] See P. WECKEL, op. cit., p. 1036.
[19] Voy. U. PALWANKAR, « Mesures auxquelles peuvent recourir les Etats pour remplir leur obligation de faire respecter le droit international humanitaire », I.R.R.C., 1994, pp. 11-27 ; L. BOISSON DE CHAZOURNES et L. CONDORELLI, op. cit., pp. 76-84.
[20] See L. BOISSON DE CHAZOURNES and L. CONDORELLI, op. cit., p. 77 ; N. LEVRAT, op. cit., pp. 281-293.
[21] A. IMSEIS, « Critical Reflections on the International Humanitarian Law Aspects of the ICJ Wall Advisory Opinion », A.J.I.L., 2005, pp. 114-117.
[22] A/RES/ES-10/17 du 15 décembre 2006.
[23] Article 3 du Règlement de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, et article 29 de la 4e Convention de Genève de1949.
[24] Voy. OCHA, Five Years after the International Court of Justice Advisory Opinion. A Summary of the Humanitarian Impact of the Barrier, United Nations, July 2009, p. 30.
[25] Rapport de la Suisse, en sa qualité de Dépositaire des Conventions de Genève, en application de la résolution ES-10/15 de l’Assemblée générale, Annexe à la lettre datée du 30 juin 2005, adressée au Président de l’Assemblée générale par le Représentant permanent de la Suisse auprès de l’Organisation des Nations Unies A/ES-10/304, 5 juillet 2005.
[26] Pour une analyse plus approfondie du rapport, voy. Fr. DUBUISSON, « The Implementation of the Advisory Opinion of the International Court of Justice concerning the Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory », Palestine Yearbook of International Law 2004-2005, vol. XIII, 2007, pp. 27-54.
[27] Voy. notamment Conclusions du Conseil des Affaires étrangères sur le processus de paix au Proche-Orient, 8 décembre 2009, 17281/09, § 6 ; Conclusions du Conseil Affaires générales et relations extérieures sur le processus de paix au Moyen-Orient, 23 avril 2007, 8768/07, § 7; Conclusions du Conseil Affaires générales et relations extérieures sur le Moyen-Orient, 22 janvier 2007, 5548/07, § 6 ; Conclusions du Conseil Affaires générales et relations extérieures sur le Moyen-Orient, 10 avril 2006, 8228/06, p. 3; Conclusions du Conseil Affaires générales et relations extérieures sur le Moyen-Orient, 21 novembre 2005, 14754/05, § 7.
[28] Voy. J. SALMON (Dir.), Dictionnaire de droit international public, Brussels, Bruylant, 2001, p. 1007.
[29] Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et l'État d'Israël, d'autre part, J.O.C.E., 21 juin 2000, L.147/3. Sur cette question, voy. aussi M. CHEMILLER-GENDREAU, op. cit.
[30] Voy. par exemple la réponse du Ministre belge des Affaires étrangères concernant la position européenne :
« Le Conseil européen des 16 et 17 juin 2005, dans sa Déclaration sur le processus de paix au Proche-Orient, a souligné que "tout en reconnaissant à Israël le droit d’assurer la sécurité de ses citoyens, il demeurait préoccupé par la poursuite de la construction de la barrière de séparation dans le territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est et dans ses alentours, en contradiction avec les dispositions pertinentes du droit international".
Membre de l’Union, la Belgique souscrit bien sûr à cette déclaration et demeure vigilante à l’égard de tous les développements susceptibles de menacer le processus de paix au Moyen-Orient. La poursuite de cette construction, en contribuant à la dégradation des conditions de vie des Palestiniens et en risquant de créer un fait accompli est de nature à rendre plus difficiles encore les efforts de la Communauté internationale et notamment ceux du quartet USA-UE-ONU-Russie, en faveur d’une paix juste et durable au Moyen-Orient.
Ni les sanctions, ni une éventuelle activation de la clause de l’Accord d’Association UE-Israël relative au respect des Droits de l’homme ne nous semblent cependant opportunes. La raison en est notamment que des développements positifs, certes relatifs, ont été constatés depuis le Sommet de Sharm el-Sheikh entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon, en février dernier. Le Conseil européen des 16 et 17 juin 2005, dans sa Déclaration sur le Proche-Orient, prend acte de ces développements positifs » (Réponse à la demande d’explications de M. Christian Brotcorne au ministre des Affaires étrangères sur "l’avis rendu par la Cour internationale de Justice le 9 juillet 2004 relatif au mur de séparation construit par Israël" (n° 3-960), 15 juillet 2005, Sénat de Belgique).
[31] Sur ce point, voy. M. KOHEN, « The Advisory Opinion provides the legal framework for the Israëli-Palestinian conflict », in Implementing the ICJ Advisory Opinion on the Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory — The role of Governments, intergovernmental organizations and civil society, op. cit., pp. 88-92.
[32] Avis, §§ 155-157.
[33] UN Experts Mark Anniversary of ICJ "Wall Opinion" : Call on Israël to Halt Construction of the Wall, HR/05/092, 4 August 2005, Special Rapporteur on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967 Prof. John Dugard, Special Rapporteur on adequate housing as a component of the right to an adequate standard of living Mr. Miloon Kothari, Special Rapporteur on violence against women, its causes and consequences Ms. Yakin Erturk, Special Rapporteur on the right to education Mr. Vernor Munoz Villalobos, Special Rapporteur on the right of everyone to the enjoyment of the highest attainable standard of physical and mental health Mr. Paul Hunt, Special Rapporteur on contemporary forms of racism, racial discrimination, xenophobia and related intolerance Mr. Doudou Diène, Chairperson, Rapporteur, Working Group on arbitrary detention Ms. Leila Zerrougui, Special Rapporteur on trafficking in persons, especially in women and children Ms. Sigma Huda.
[34] Avis, § 122.
[35] Conclusions du Conseil – Renforcement des relations bilatérales de l’Union européenne avec ses partenaire méditéranéens, 2915e session, 8-9 décembre 2008.
[36] Voy. « EU-Israel meeting ends with no progress on 'upgrade' », 16 juin 2009, http://euobserver.com/9/28310.