Rapport Goldstone : mettre fin à l’impunité, condition de la paix

Publié le par Tribunal Russell France


par Isabelle Avran

Par deux fois en moins d’un mois, en dépit d’une intense campagne et du soutien actif d’alliés indéfectibles, Israël a subi un échec politique et moral au sein d’une instance des Nations unies.

Le rapport de la commission de Richard Goldstone accusant Israël et, dans une moindre proportion, des « groupes armés » palestiniens de « crimes de guerre »et de possibles « crimes contre l’humanité » lors de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza en décembre et janvier derniers qui a fait plus de 1400 morts palestiniens et 13 morts israéliens a été approuvé d’abord par le Conseil des droits de l’Homme le 16 octobre, puis par l’Assemblée générale de l’Onu le 5 novembre.

 C’est à une très large majorité que l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution appelant Israël et les Palestiniens à ouvrir des enquêtes « crédibles ».  La résolution, déposée par les pays arabes et non alignés et qui « approuve » le rapport, a recueilli 114 voix contre 18, avec 44 abstentions. Au sein de l’Union européenne, cinq Etats ont voté pour, sept contre et 15, dont la France, se sont abstenus. La résolution exhorte le secrétaire général des Nations unies à transmettre le rapport Goldstone au Conseil de sécurité, habilité à saisir le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), en cas d’absence d’enquêtes indépendantes conformes aux normes internationales. Elle prie également le secrétaire général de soumettre à l'Assemblée générale, dans un délai de trois mois, un rapport sur l'évolution de la situation, l’Assemblée pouvant alors saisir « d'autres organes pertinents de l'ONU, dont le Conseil de sécurité ». Vendredi 6 novembre, le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, a annoncé qu'il allait transmettre « le plus tôt possible » le rapport Goldstone au Conseil de sécurité. Ce que ne souhaitent ni les Etats-Unis, ni la Russie, ni l’Union européenne.

 Sur le fond, le rapport Goldstone sur les violations du droit international durant l’offensive israélienne contre la population de Gaza l’hiver dernier, comme le traitement qui lui est réservé mettent en lumière les contradictions du rapport de forces actuel au Proche-Orient, des impasses entretenues et en même temps des potentialités nouvelles.

 Ce rapport, puis sa discussion et son adoption d’abord par le conseil des droits de l’Homme des Nations unies puis par l’Assemblée générale, ont donné lieu à une intense campagne israélienne défensive et de dénigrement, avec le soutien des Etats-Unis et un suivisme de la France. Les atermoiements de l’Autorité nationale palestinienne -qui, dans un premier temps, a accepté le report de l’examen du rapport par le Conseil des droits de l’Homme- montrent aussi son extrême sensibilité aux pressions de toutes sortes.

 A contrario, la panique israélienne à la fois face à l’énoncé du droit international et à la mise en cause, sinon de son offensive à Gaza elle-même, au moins de ses pratiques, et face aux risques de jugement des criminels de guerre, confirme qu’il nous faut poursuivre la lutte contre l’impunité, condition de la paix au Proche-Orient.

 Le rapport Goldstone :
 Genèse, contenu, recommandations et intérêts

L’enquête a été commanditée par l'ONU et le rapport présenté par le juge sud-africain Richard Goldstone.

Il est extrêmement documenté, en dépit du refus d’Israël de toute coopération, ce que le rapport dénonce. Ce refus israélien s’inscrit dans la continuité d’un conflit mené à huis clos dans le territoire de Gaza interdit d’accès aux humanitaires et aux journalistes, et accompagné d’un narratif officiel, celui de la « légitime défense », contredit par les faits et leur chronologie. Il va aussi de pair avec la poursuite siège imposé à la population.

 Ce rapport dénonce les crimes de guerre israéliens et de possibles « crimes contre l'humanité » et dans une moindre mesure ceux de groupes armés palestiniens. La résolution du Conseil des droits de l’Homme, qui porte sur « la situation des droits humains dans le territoire palestinien occupé, y compris Jerusalem-est » approuve ainsi la demande d'enquêtes nationales indépendantes des deux parties pour sanctionner les responsables de crimes ; elle approuve également le fait que le Conseil de sécurité puisse saisir le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) (si ces enquêtes n’aboutissent pas dans les six mois) et renvoie concrètement le dossier aux instances de l'ONU, l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité. Une saisine de la CPI pourrait amener à des poursuites contre des hauts gradés de l'armée ou des dirigeants politiques israéliens. La résolution du Conseil des droits de l’Homme, dans son préambule, condamne aussi la poursuite de la colonisation israélienne en territoire palestinien.

 En ouverture de la session du conseil des droits de l’Homme, la haut-commissaire aux droits del’Homme, Navi Pillay, a demandé aux 47 Etats membres de soutenir une « enquête impartiale, indépendante, rapide et réelle sur les violations des droits humains et du droit humanitaire » a souligné qu’« une culture de l’impunité continue de prévaloir dans les territoires occupés et en Israël ». Il est en effet urgent d’y mettre un terme pour donner une chance à la paix, laquelle ne peut se bâtir sur la violation des droits humains et du droit international.

 C’est la première fois, historiquement, que les crimes de guerre israéliens sont aussi rigoureusement documentés par un rapport officiel de l’Onu dont les recommandations sont claires et qu’un rapport de ce conseil fait l’objet d’un tel acharnement international, ce qui en révèle l’enjeu majeur : la lutte contre l’impunité comme critère pour parvenir à la paix.

 L’analyste Rami Khouri (« Judge Goldstone’s Wisdom », The Jordan Times, 23 October. 2009, cité sur le site palestinien miftah.org) souligne l’importance de ce rapport pour plusieurs raisons.

Il représente, dit-il, une analyse sans précédent, impartiale, de ce qui s’est joué à Gaza, et analyse des comportements des deux parties. Ce qu’il met en jeu, c’est la nécessité de rendre des comptes (« accountability ») et d’être responsable de ses actes. Et ce, en fonction du droit international (incluant le droit humanitaire international, les Conventions de Genève, la Chartre des Nations unies, la Déclaration des droits humains et autres). En clair donc, il met en jeu l’impunité. La poursuite de l’absence de justice, souligne-t-il, met en cause tout espoir de processus de paix fructueux et renforce un environnement qui nourrit la violence.

 La question ici n’est évidemment pas de mettre un signe d’égalité entre occupants et occupés, assiégeants et assiégés, agresseur et agressés.  Ni quant aux actes, ni quant aux exigences qui sont formulées. En revanche, le rappel du droit, indivisible, comme norme devant s’appliquer à tous, est essentiel.

 Adoption au conseil des droits de l’Homme puis à l’Assemblée générale des Nations unies

Israël a essuyé deux sévères défaites diplomatiques. Morales et politiques.

 Le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU a adopté vendredi 15 à Genève cette résolution approuvant le rapport Goldstone, par 25 voix contre six et onze abstentions. La France et le Royaume-Uni n'ont pas participé au scrutin. 25 Etats ont voté pour (Afrique du sud, Arabie saoudite, Argentine, Bahrain, Bangladesh, Bolivie, Brésil, Chili, Chine, Cuba, Djibouti, Egypte, Ghana, Inde, Indonésie, Jordanie, Maurice, Nicaragua, Nigeria, Pakistan, Philippines, Qatar, Russie, Sénégal,  Zambie), 6 contre (Etats-Unis, Italie, Hollande, Hongrie, Slovaquie, Ukraine), 11 se sont abstenus (Belgique, Bosnie, Burkina Faso, Cameroun, Gabon, Japon, Mexique, Norvège, Corée du sud, Slovénie, Uruguay). Le Royaume-uni, la France, Madagascar, le Kirghizstan et l’Angola n’ont pas participé au vote.

 Le vote à l’Assemblée générale des Nations unies revête une importance majeure compte tenu de son ampleur, puisqu’il a recueilli 114 voix contre 18, avec 44 abstentions Les Etats-Unis ont voté contre, la Russie s'est abstenue, la Chine a voté pour. Au sein de l’Union européenne, cinq Etats ont voté pour, sept contre (Allemagne, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, République tchèque et Slovaquie) et 15, dont la France, se sont abstenus.

 Double panique en Israël

D’une part, le rapport constitue une remise en cause, sur le fond, de sa stratégie de guerre totale anti-palestinienne et du discours qui l’accompagne sur l’obligation d’autodéfense (préventive ou non). C’est à tout le moins une défaite morale.

 D’autre part, les dirigeants politiques et les militaires israéliens craignent que le rapport Goldstone soit transmis à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, qui pourrait alors engager des poursuites contre des hauts gradés de l’armée israélienne ou des dirigeants politiques israéliens.

Les dirigeants israéliens se sont employés à dénigrer le contenu du rapport qualifié à la fois d’infondé et de dangereux et à dénigrer l’Onu –pourtant sollicitée sur d’autres terrains.

Le Premier ministre Benyamin Netanyahu, à l’occasion de la séance d’ouverture de la session d’hiver de la Knesset, a évoqué un rapport grotesque, rédigé par une commission grotesque, qui «  met en cause le droit israélien le plus basique à l’autodéfense. C’est un rapport qui met la paix en péril et encourage le terrorisme ». En clair, il serait impossible d’accuser Israël pour ses crimes car ceux-ci seraient commis contre des terroristes. CQFD.

 Benyamin Netanyahu : « c’est au cours de l’opération "Plomb Durci" que l’assemblée générale de l’ONU a décidé de mettre en place une commission pour enquêter sur ce qu’elle qualifiait de "violation du droit international par l’occupant israélien contre les Palestiniens". Notez bien cette formule : "l’occupant israélien". Mais la vérité est toute autre : Ce sont les dirigeants d’Israël et son armée qui ont défendu les Israéliens contre des criminels de guerre ». L’argument vaut aveu : c’est bien l’occupation qui est en cause.

 D’autre part, en rejetant ses recommandations et en affirmant la volonté de défendre -diplomatiquement et juridiquement- les dirigeants israéliens. « Nous n’accepterons pas qu’Ehud Olmert, Ehud Barak ou Tzipi Livni soient sur le banc des accusés de la Haye (…) Nous n’accepterons pas non plus que les commandants et les soldats de Tsahal soient présentés comme des criminels de guerre. Le gouvernement, la Knesset et le peuple israélien rejettent du tout au tout cette absurdité ».

 Elle s’accompagne, comme chaque fois, d’un narratif qui, non seulement inverse les rôles, mais aussi plaide l’absence de partenaire palestinien, c’est-à-dire qui inverse aussi les rôles sur l’impasse de tout le « processus » (dit « de paix »), et de plus confessionnalise le propos pour radicaliser le conflit sur ce critère au détriment de sa nature politique, coloniale. C’est notamment ce qui se joue, entre autres, de nouveau, à Jérusalem. Benyamin Netanyahu fait mine de demander à l’Autorité palestinienne d’« admettre la vérité, à savoir que l’Etat juif n’est pas l’ennemi de l’islam, mais une nation aspirant à la paix, avec qui il faut faire la paix (…) Israël a offert de faire des concessions, mené des négociations et assisté à des rencontres, mais en vain. Savez-vous pourquoi ? Parce que les dirigeants palestiniens ne sont pas prêts à annoncer la fin du conflit ». Il s’agit aussi à l’adresse de l’opinion internationale d’inscrire cette occupation dans un « eux ou nous ». Mais les réactions des opinions durant l’offensive à Gaza ont montré que ça ne prend plus, ou plus aussi facilement. 

 Panique juridique

Elle crée (ou renforce) un consensus entre l’actuel gouvernement, Tzipi Livni et Ehud Barak.

 Les modalités de la réaction israélienne face au risque de jugements se sont élaborées en plusieurs temps. Dans un premier temps : (selon le Yediot Aharonot du 12 octobre 09 : « A la recherche d’une issue » Tova Tzimuki et Itamar Eichner), des responsables juridiques, des juristes de l’armée israélienne et des responsables du ministère des Affaires étrangères ont envisagé de recommander au gouvernement la création d’une commission d’enquête externe pour étudier certaines des accusations concernant l’opération « Plomb Durci ». Le mandat d’une commission indépendante, extérieure à l’armée, présidée par un juriste renommé en Israël et à l’étranger, aurait été de répondre au rapport Goldstone sans tirer de conclusions personnelles contre quiconque, mais établissant des règles pour des situations semblables à l’avenir.

 Mais une telle démarche aurait entre autres pour conséquences, selon des responsables militaires, de faire courir le risque que des informations confidentielles ne soient divulguées…

Second temps : Le cabinet de sécurité israélien, qui s'est réuni pour débattre des conséquences du rapport et de son adoption, n'envisage pas la création d'une commission d'enquête.

Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères au moment de l'opération israélienne : favorable à une telle commission uniquement « si elle permet de défendre les soldats et officiers israéliens contre toute poursuite à l'étranger ».

Ha’aretz 21 octobre 09 : Ehud Barak, alors ministre de la Défense s’oppose vivement à une commission.

 L’armée, pour laquelle il ne faut donc pas faire d’investigation en son sein, soutient que toutes les opérations et toutes les cibles visées au cours de « Plomb Durci » avaient été approuvées par le gouvernement et son conseiller juridique.

Au-delà des refus, rejets, dénigrements : le Premier ministre a demandé aux organes gouvernementaux compétents d'étudier une initiative pour amender la législation internationale sur la guerre afin de l'adapter à « l'expansion du terrorisme mondial », ont indiqué ses services dans un communiqué.

Ou : si le droit vous condamne pour crimes, changez le droit.

(Dans ce contexte, une ONG israélienne a exhorté le Parquet israélien à réviser sa décision de ne pas poursuivre en justice des policiers filmés en train de frapper des Palestiniens sous prétexte que les coups étaient « très légers ». « C'est une décision étrange et choquante », a déclaré dans un communiqué Michael Sfard, l'avocat de l'association de défense des droits humains Yesh Din (Il y a une justice). « L'affirmation selon laquelle battre un détenu ne constitue pas un acte délictueux est pire que les coups eux-mêmes et (...) injuste et dangereux », a-t-il ajouté en réclamant une révision de la décision du Parquet.) 

 

Atermoiements et volte-face palestiniens
 dans un contexte de blocage

 

La décision de Mahmoud Abbas d'accepter dans un premier temps un report du vote sur le rapport Goldstone à l'ONU a suscité critiques et remous en Palestine même. Il a depuis fait volte-face et obtenu l'adoption d'une résolution d’initiative palestinienne par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU.

 Cette attitude a amené des interrogations sur la nature des pressions et des condamnations pour y avoir cédé un temps. Elle en dit long aussi sur la gouvernance du politique par le chantage économique (salaires des fonctionnaires, etc.)

 En tout état de cause, souligne l’analyste palestinien Ghassan khatib: cette décision a affaibli l’autorité de l’Autorité. Et l’argument a été avancé selon lequel ce volte-face viendrat aussi de l’absence de nécessité de rendre des comptes (« accountability ») du leadership et de l’absence de fonctionnement du conseil législatif.

 Ces développements sont intervenus, poursuit Ghassan Khatib, une semaine après les pressions américaines sur Mahmoud Abbas pour le pousser à rencontrer Benyamin Netanyahu à New York, sans que celui-ci soit revenu sur son refus de geler la colonisation en territoire occupé.

Dans les deux cas, dit Ghassan Khatib, le leadership palestinien a subi la pression israélienne et américaine et en a payé le fruit intérieur.

 L’universitaire palestinien George Giacaman (Bir Zeit) le fait remarquer (« Of tunnels, Goldstone and the "peace process" », bitterlemons.org) : fin 1996, la tentative israélienne de creuser un tunnel à Jérusalem sous l’esplanade des Mosquées avait suscité une vague de mobilisations palestinienne telle que certains évoquaient alors la possibilité d’une seconde Intifada.

En cette fin 2009, remarque George Giacaman, les Palestiniens découvrent un tunnel creusé sous la mosquée al-Aqsa et la droite nationaliste israélienne y appelle à de nouvelles provocations ; mais, en dépit de manifestations à Jérusalem –accompagnées d’une répression israélienne non négligeable au nom de l’affirmation de la souveraineté israélienne sur la ville- c’est surtout, souligne-t-il, contre la décision de l’Autorité palestinienne (d’accepter, dans un premier temps, le report de la présentation du rapport Goldstone au Conseil des droits de l’Homme de l’Onu), qu’ont eu lieu les mobilisations (manifestation, condamnations, jusque dans les rangs de Fatah…) palestiniennes.

 Les sondages confirment ces analyses. Ainsi du sondage du Jerusalem Media and Communications Center (JMCC), publié 18 octobre : seuls 12,1% des personnes interrogées déclarent avoir confiance en Mahmoud Abbas, contre 17,8% dans l'édition précédente de ce sondage, en juin dernier.

 Le JMCC explique cette chute par la décision de Mahmoud Abbas d'accepter dans un premier temps un report du vote sur le rapport Goldstone. Le sondage montre que Mahmoud Abbas recueillerait 16,8% des suffrages en cas d'élection en 2010, soit à peine mieux qu'Ismaïl Haniyeh, le chef du gouvernement du Hamas qui contrôle la bande de Gaza (16%) et autant que Marwan Barghouti, un leader du Fatah qui purge actuellement cinq peines de prison à vie en Israël.

 Suites, après le volte-face : « Nous espérons maintenant que le rapport (Goldstone) sera porté devant le Conseil de sécurité » de l'ONU, a déclaré à l'AFP le négociateur palestinien Saëb Erakat.

Quant au mouvement islamiste Hamas, il a espéré « que ce vote conduira à un procès des chefs de l'occupation (israélienne) ».

 C’est dans ce contexte que les négociations israélo-palestiniennes continuent à être suspendues -et que Mahmoud Abbas a annoncé ne pas se représenter à des élections- du fait, liée à l’accélération de la colonisation en dépit du droit international et même des engagements pris par Israël dans le cadre de la feuille de route. La « proposition » de Benyamin Netanyahu est de suspendre pendant six mois la création de nouvelles colonies, tout en poursuivant la colonisation de Jérusalem Est, en maintenant les appels d’offres passé (3000 nouvelles), en construisant de nouvelles infrastructures pour les colonies. En jeu : l’absence d’engagement international pour donner un sens à l’objectif de paix seize ans après le début de la négociation.

 Salam Fayyad : « Les obligations internationales ne sont pas de simples recommandations, de la même façon qu'un feu rouge n'est pas une recommandation de s'arrêter mais une obligation ».

 

Le rôle néfaste des Etats-Unis

De  toute évidence, un prix Nobel de la paix précoce ne suffit pas à en défendre pleinement la perspective concrète.

Les Etats-Unis ont adopté la rhétorique israélienne sur le thème : la publication et l’adoption de ce rapport (lequel sert pourtant, donc, la lutte contre l’impunité) mettrait en cause le « processus » de paix.

Il ne s’agit pas que de discours, les votes le confirment (et la menace d’un veto au CS Onu est claire).

L'ambassadrice des Etats-Unis à l'ONU, Susan Rice, qui a rencontré à Jérusalem le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, a appelé à cesser les « attaques au vitriol » (sic) contre Israël aux Nations unies. « Les Etats membres (de l'ONU) doivent une fois pour toutes remplacer leurs attaques anti-israéliennes au vitriol par la reconnaissance de la légitimité d'Israël et de son droit à la paix et à la sécurité », a-t-elle affirmé lors de la conférence organisée par le président israélien Shimon Peres. Comme si la reconnaissance d'Israël et de son droit à la paix et à la sécurité était menacée, et aussi comme si sa reconnaissance signifiait reconnaissance de sa légitimité ; comme si la sécurité et les droits nationaux des Palestiniens n’avaient pas lieu d’être pris en compte. 

Cette position des Etats-Unis s’inscrit dans un contexte de :

  • Visions stratégiques communes : « Nous serons aux côtés de nos amis sur le front et nous soutiendrons le droit inaliénable à l'auto-défense » d'Israël.
  •     Manoeuvres anti-aériennes conjointes : Israël et les Etats-Unis viendraient d’organiser leurs plus importantes manoeuvres anti-aériennes conjointes, dans le cadre d'un exercice de simulation d'attaques de missiles (source militaire israélienne).
  •     Volte-face américain sur la colonisation. La colonisation a d’abord été mise en évidence par l’administration Obama comme principal obstacle à la paix, les Etats-Unis réclamant son gel comme préalable à la négociation, puis par la voix de Hilary Clinton ils ont renoncé et félicité Benyamin Netanyahu pour l’avancée que constitueraient ses annonces de mesures partielles et temporaires..

 Le sondage du JMCC montre un profond désenchantement des Palestiniens vis-à-vis des efforts de paix de Washington. 58,4% des personnes interrogées estiment que les actions du président américain Barack Obama ne vont pas changer les choses, contre 23,7% qui estiment le contraire et 12,9% qui considèrent au contraire qu'elles feront empirer les choses.

 Enfin, Washington vis-à-vis Hamas : (Ha’aretz 13 octobre : « Les Etats-Unis à l’Egypte : Une réconciliation inter-palestinienne à l’heure actuelle nuirait au processus de paix » Barak Ravid et Avi Issacharof ) : Les Etats-Unis auraient adressé un message à l’Egypte pour lui faire part de leurs réserves quant à la signature d’un accord de réconciliation inter-palestinien dans l’état actuel des choses. Lors de sa rencontre avec le chef des renseignements égyptiens, Omar Suleiman, et le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, l’émissaire américain pour le Proche-Orient, George Mitchell aurait affirmé que les Etats-Unis ne soutiendraient pas un accord de réconciliation si, comme cela semble être le cas actuellement, celui-ci ne respecte pas les conditions fixées par le Quartette de la communauté internationale. Selon un haut fonctionnaire américain, M. Mitchell aurait indiqué aux Egyptiens que, du point de vue des Etats-Unis, le gouvernement palestinien et tous ses ministres doivent accepter les conditions du Quartette : l’abandon du terrorisme, le respect des accord précédemment conclus et la reconnaissance d’Israël. Toujours rien en revanche sur les obligations en la matière des occupants. Pour George Mitchell, le projet d’accord actuel serait mauvais et sa signature porterait atteinte aux chances de reprise des négociations entre Israël et l’Autorité palestinienne.

 La France ne « participe pas »…

 

La France a refusé de prendre part au vote au Conseil des droits de l’Homme de l’Onu et s’est abstenue lors du vote à l’Assemblée générale. Est-il imaginable pour une démocratie de ne pas participer à un vote qui porte sur la mise en évidence et la condamnation de crimes de guerre ?

Comme l’a souligné l’AFPS dans son communiqué, il s’agit d’une posture injuste et contre-productive. On pourrait ajouter honteuse.

 (point de presse électronique du ministère des Affaires étrangères du 22 octobre 09) « La France avait salué la décision prise par le Président du Conseil des Droits de l’Homme en avril 2009, de rééquilibrer le mandat confié à la mission d’établissement des faits présidée par le juge Goldstone, en l’élargissant aux actions de toutes les parties au conflit. Un projet de résolution nous a été remis en début de semaine. L’Union européenne avait demandé à travailler sur ce texte avec ses co-auteurs. La négociation que nous espérions n’a pas pu avoir lieu, du fait des refus des co-auteurs de tenir compte de nos préoccupations. Nous le regrettons profondément. Nous considérons par ailleurs que le projet de résolution qui était soumis au vote aujourd’hui, sous la forme d’un texte à vocation très large, mêlait de manière inopportune le rapport de la mission d’établissement des faits et des questions sans lien direct avec le mandat du Conseil des Droits de l’Homme et détournait ainsi l’action du Conseil de l’objectif qu’il s’était initialement assigné. Nous avons sollicité le report du vote sur ce projet de résolution pour permettre à une véritable discussion de s’engager. Nous regrettons le refus opposé à cette demande. Parallèlement, nous avons engagé des discussions de nature à mettre en oeuvre certaines des recommandations du rapport. La mise aux voix prématurée de ce projet de résolution n’a pas permis à ces efforts d’aboutir avant le vote. C’est pour l’ensemble de ces raisons que la France, avec d’autres délégations, a refusé de participer au vote sur le projet de résolution.  »

 Hypocrisie donc.

 Dans un courrier signé par le président français Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique Gordon Brown, Paris et Londres ont demandé à Israël d'ouvrir sa propre enquête « transparente et indépendante » sur l'opération « Plomb Durci » à Gaza. Ils ont aussi réclamé « un arrêt de la colonisation dans les territoires occupés et une reprise des négociations » de paix. Mais ces déclarations n’engagent à rien puisque non seulement l’un et l’autre refusent la moindre pression pour mettre un terme à l’occupation et à la colonisation, mais en outre vont jusqu’à refuser de se prononcer alors que ce qui est en jeu est la mise à jour de crimes de guerre, comme si cela n’avait pas lieu d’être discuté. Or, la France est membre du conseil de sécurité.

 Cette attitude s’inscrit dans une campagne plus globale de la France de soutien à Israël :

  • Au lieu de faire pression sur Israël pour le contraindre à respecter le droit, la France développe ses relations économiques et scientifiques avec Tel-Aviv. La secrétaire d'Etat française chargée du Commerce extérieur, Anne-Marie Idrac a participé à une conférence internationale organisée par le président israélien Shimon Pérès, et rencontré plusieurs ministres, dont le ministre des Finances Yuval Steinitz et celui des Infrastructures Uzi Landau, avec « l'objectif d'accroître les échanges économiques avec Israël (…) Nous avons identifié des secteurs potentiels de collaboration, notamment dans le domaine de l'énergie et de la biotechnologie », a-t-elle précisé en citant le solaire et la désalinisation.
  • Comme pour se donner bonne conscience, Mme Idrac a évoqué l'implication de la France dans le développement d'une zone d'activité palestinienne à Bethléem (Cisjordanie), près de Jérusalem, comme si le développement de la ville était possible sous occupation, dans l’enfermement d’un mur dont la Cour Internationale de Justice et l’Assemblée générale des Nations unies exigent le démantèlement, et indépendamment du développement du pays occupé, colonisé, réduit à une kyrielle de micro-enclaves. Il n’est mystère pourtant pour personne que la poursuite revendiquée de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens occupés est l'un des principaux obstacles non seulement à la reprise des négociations mais à l’objectif de la paix lui-même.
  • Anne-Marie Idrac, a affirmé à Jérusalem le soutien de la France à la candidature d'Israël à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Israël, soutenu dans sa volonté d’intégrer le « club des pays riches », Israël, affameur du peuple palestinien dont il nie les droits nationaux à l’autodétermination, à l’indépendance, au développement économique, lui confisquant également territoire, terres et ressources en eau.
  • Le 11 novembre et en dépit de ce contexte et de cette politique israélienne, Nicolas Sarkozy reçoit Benyamin Netanyahu à Paris.  
Les positions au sein de l’Union européenne
En Europe

Selon l’AFP, l'Union européenne et les Etats-Unis, ont tout fait pour empêcher l’adoption du rapport dès le vote au Conseil des droits de l’Homme, plaidant l’idée selon laquelle cela compliquerait encore les fragiles tentatives de paix entre Israéliens et Palestiniens.

Parallèlement, le ministre suédois des Affaires étrangères, Carl Bildt, a fait savoir, dans une déclaration officielle, que son pays accepte les conclusions du rapport Goldstone. M. Bildt a déclaré que ce rapport est digne de considération et a appelé à agir sur sa base. Il a également affirmé qu’Israël avait « commis une erreur » en décidant de ne pas coopérer avec la commission Goldstone. Des propos qui ont provoqué la colère de Tel-Aviv.

Javier Solana, lui, a été jusqu’à avancer qu’Israël est membre de l’Union européenne sans être membre de ses institutions. Faut-il y voir une orientation politique, celle défendue par Bernard Kouchner quelques jours avant le déclenchement de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, prônant le rehaussement des relations entre l’Union européenne et Israël ? Certains dirigeants européens n’attendent-ils que le départ d’Avigdor Lieberman du gouvernement israélien ?

 En Russie

La Russie a voté pour le texte au Conseil des droits de l’Homme mais pas à l’Assemblée générale des Nations unies (abstention).

 En Turquie

Les évolutions de la Turquie, alliée stratégique régionale d’Israël et des Etats-Unis, sont intéressantes. Dans une interview à la chaîne CNN, le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, aurait confirmé que la situation à Gaza était à l’origine de l’annulation de l’exercice militaire conjoint avec Israël. « Dans la situation actuelle, il est clair que nous critiquons l’attitude d’Israël. Nous espérons que la situation à Gaza s’améliorera, que le canal diplomatique soit relancé et qu’une nouvelle atmosphère se crée dans les relations turco-israéliennes ».

 Cette diplomatie nouvelle de Recep Tayyip Erdogan vis-à-vis de Tel-Aviv a commencé après l’opération « Plomb Durci », et du fait notamment de la suspension des pourparlers entre la Syrie et Israël, par l’intermédiaire de la Turquie.

 Des opérations israéliennes de boycott (café, voyages…) ont été lancées. Montrant a contrario l’intérêt de cette évolution d’Ankara.

Dans le monde arabe

La Jordanie, habituellement « neutre » de facto vis-àvis de Tel-Aviv, connaît des évolutions.

Cité par le Haaretz, un responsable jordanien aurait indiqué que les affrontements entre Israël et les Palestiniens (en fait entre autres les nouvelles provocations israéliennes à Jérusalem, incluant la colonisation intensive dans la ville) créeraient de l’instabilité en Jordanie et encourageraient les « extrémistes ». Selon lui, au cours de l’offensive israélienne, il y aurait eu au moins six cents manifestations à travers le royaume hachémite. 

Des bougés aussi en Egypte 

En témoigne l’opposition du Caire à la venue du ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman à une réunion des Etats de l'Union pour la Méditerranée (UPM), en novembre.

Nations unies et colonisation

Quasiment à la veille du vote de l’Assemblée générale, le secrétaire général de l'Onu, Ban Ki-moon, s’est dit « consterné » par le comportement d'Israël à Jérusalem-est, y compris la démolition d'habitations palestiniennes, et a appelé Israël à cesser ces « actes de provocation ».

Notre responsabilité

 

La publication du rapport Goldstone, son adoption par l’Assemblée générale des Nations unies, faisant écho à l’émotion et à la colère qu’une majorité de citoyens ont manifestées durant l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, le « retrait » de la France pourtant membre du Conseil de sécurité des Nations unie, nous confèrent des responsabilités particulières.  Le rapport fait écho à notre exigence -et nos initiatives- contre l’impunité, la fin de l’impunité étant un gage pour la paix, la paix fondée sur le droit. Il est un point d’appui pour poursuivre ce combat, en particulier en  France et Europe. En particulier, c’est à la France que nous avons à demander des comptes sur une politique qui permet cette impunité et sur les conséquences de cette politique. Une exigence citoyenne.

Publié dans DROIT INTERNATIONAL

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article